Ça prend un village pour éduquer un enfant.
Notre humoriste Québécois de descendance Sénégalaise, Boucar Diouf nous répète souvent cette phrase:
«Comme mon grand-père me disait» : Ça prend tout un village pour éduquer un enfant!
Ô ! combien il dit vrai quand je repense à mon enfance à Kerscoulet. Nous avions comme voisin immédiat Monsieur Moallic. Sa maison était mitoyenne à la nôtre. Un tout petit penn ty à la façade en pierre de taille. Nous ne l'appelions pas Monsieur. Nous l'appelions tonton et comme son prénom était Yvon. C'était donc «Tont-Yvon».
C'est par ce diminutif de politesse que nous appelions tous nos voisins : Ton Simoun, Ton Chan-Marie, ou ton Guillaume. La seule dérogation était pour un oncle, nous les appelions alors Paern (oncle) :Paern Paul, Paern Guillou...
Pour les femmes c'était Tinti ... Ti chann, Ti Mary, ti Gaïd (Marguerite) et pour la parenté ça devenait Maern , au lieu de Paern... Maern Vone, Maern Anna etc.
Annette et moi avons été marquées par les histoires que nous relatait Tont-Yvon Moallic.
Nos souvenirs remontent à sa vie de retraité. Vivant avec sa femme Ti Gaïd, seuls tous les deux ayant perdu leur fille unique durant la guerre de 14, sans doute de la Grippe espagnole. Une belle jeune fille dont ils conservaient son portrait sur le vaisselier de la cuisine et dont ils nous parlaient chaque fois que nous entrions dans la maison. Les deux, trainèrent la douleur de cette mort en eux, leur vie durant.
Quelquefois Tont-Yvon y «allait fort sur la bouteille». Dans ces moments-là il chantait et C'était toujours la même chanson, qui donnait comme ceci:
«Ferme tes jolis yeux
L'amour n'est qu'un menson-on-on ge!
Le bonheur n'est qu'un son-on-on ge! »
Puis il appelait sa femme : Gaïd ? c'est quoi les paroles qui suivent?
La pauvre Ti Gaïd, tremblait car il se fâchait des fois.... Va à kerguivit chez Jean Moullec et demande lui? il la connait par cœur. Nous l'avons chanté ensemble à la guerre...
Et il recommençait son refrain: L'amour n'est qu'un menson-on-ge........
Maman, nous rentrait dans la maison et fermait la porte dans ces moments-là ... C'est triste nous disait-elle, il a encore trop bu!
Pensionné de la Marine Marchande, Tont-Yvon avait bourlingué sur toutes les mers du monde. De la Chine, à l'Afrique, des pays chauds aux pays froids.
Ti gaïd, sa femme mourut avant lui. Il ne restât pas à se tourner les pouces à la maison. Il était toujours à faire des corvées dans l'une ou l'autre des fermes du village et des alentours. Pour oublier sans doute! Au moins il était bien nourri ainsi!
Le soir avant d'entrer chez lui, il venait souvent saluer Maman et faire un brin de causette. Il nous relatait sa journée ainsi que les potins qui couraient par les fermes... Sans doute retardait- il ainsi le moment de rentrer seul dans sa maison où il n'y avait pas eu de feu dans la journée, tandis que chez nous il trouvait de la chaleur humaine en plus...
Quand la conversation avec Maman s'arrêtait, il se tournait vers nous et disait: Alors petites qu'avez vous appris aujourd'hui? Où en êtes-vous dans votre géographie.
Il en savait toujours plus que ce que notre géographie nous apprenait!
Qu' est-ce qu'on importe de Madagascar? et du Maroc? Et de Tahiti? Quelquefois nous osions une réponse et il complétait avec sa connaissance apprise sur le tas, c'est à dire de par son métier de Marin de commerce et de trafic d'import -export.
»A coté du riz, on trouve dans toutes régions des colonies les maïs jaune, rouge, blanc qui avec des tiges dépassant des fois deux mètres de hauteur, donnent à l'hectare des bons rendements
Le manioc nous vient de Madagascar, l'exportation en est considérable qu'il s'agisse de la racine séchée, de la farine, de la fécule et du tapioca
Le café est en plein essor dans la grande île
L'arachide de Madagascar était très en demande en 1932!
La vanille , le cacao, le giroflier! etc... »
(Tiré de la revue des questions coloniales et Maritimes)
Mais il me semble entendre encore ces mots venir de la bouche de Tont-Yvon!
La Chine, le Tonkin, le japon , les typhons, le rocher de Gibraltar illustré dans notre géo, lui avait vu tout ça... de ses yeux vu! Nos oreilles et nos cerveaux de petites filles emmagasinaient, images, histoires, senteurs de vanille, bois d'ébènes aussi noir que les dockers qui chargeaient les navires! Import-export! vocabulaire riche en mots exotiques de ce vieil homme que certains méprisaient parce que de temps en temps ,le chagrin lui faisait lever le coude un peu trop fort...
Mais nous, petites filles de kerscoulet et écolières de l'école communale de Primelin, nous retenions tout ce que nous entendions. Nous savions écouter ce conteur aux vocabulaire porteur d'histoire des colonies Françaises d'Outremer.
Notre père, lui, dans ses rares congés nous parlait de Dieppe port de pêche, de mareyeurs, de morue, de cabillauds, de brume, de voyage jusqu'à terre-neuve.
Boulogne, Dieppe, la Rochelle, principaux ports de pêche sur la côte Atlantique, tandis que le Havre, Nantes et Saint-Nazaire étaient des ports de commerce,
Et Brest et Lorient des ports militaires.... Nous avions toujours parmi nos voisins, un marin fréquentant ces ports, en congé l'un ou l'autre.
Quand Annette passa son certificat d'études primaires à 13 ans, c'est à l'école d'Audierne que ça se passait , comme nous toutes avant-elle. Lorsque les examinateurs ont corrigé son devoir de géo, ils se sont dits: 20/20 ? Mais qui est donc cet enfant? Ils ont soulevé le rabat numéroté et ont découvert : Annette Meil, institutrice Madame Fablé.
Ils ont convoqué cette dernière pour lui demander des explications, au cas où il y aurait eu tricherie!
Sa réponse fut : Ah! ça ne me surprend pas! Je connais très bien la famille et l'entourage « Fille de marin, nièce de marin, voisine de marin».
Car en ce temps, les institutrices connaissaient chaque enfant, sa famille et son entourage!
Annette a épousé un marin de commerce!
Et moi je raconterai une prochaine fois, un peu de l'histoire de Madame Fablé, directrice de l'école des filles de Primelin.
Voici le refrain de la chanson de Michel Amont, datant de 1913, mise sur 33 tours en 1961 reprise par d'autres chanteurs Français et Québécois depuis, dont Tont-Yvon avait oublié les paroles. Finalement c'est une belle berceuse!
«Ferme tes jolis yeux
car les heures sont brèves
Au pays merveilleux
Au beau pays du rêve
Ferme tes jolis yeux
Car tout n'est que mensonge
Le bonheur n'est qu'un songe
Ferme tes jolis yeux»
Blandine Meil