Lorsque l'enfant parait
Marie-Paule à 2 ans et Marie-Paule aujourd'hui, elle porte sa vie à bout de bras . Elle a déjà conquis la bretagne!
Une date charnière importante! Mon arrivée au Québec.
J'ai perdu mon rang social, je ne suis plus qu'une «maudite française» parmi tant d'autres venue grossir le lot d'immigrants qui arrivaient par bateau en ce temps là. Je ne me suis jamais sentie visée par ce qualificatif !.Je viens d'une province où la langue et les coutumes sont aussi bafouées, donc j'avais un lien de connivence avec les québécois.
Première difficulté: l'apprentissage sur le tas des lois canadiennes. Nous ne sommes plus rien, nous avons tout à apprendre et à rebâtir.
Les assurances vie que nous avions depuis quelques années: perdues complètement . Aujourd'hui, un français qui arrive ici garde tout ou presque des droits acquis grâce aux échanges entre La France et le Québec.
En 1952, je me suis abonnée au téléphone. Ça fait partie du quotidien , c'est une nécessité dans ce pays. En ces années -là je ne pouvais pas encore communiquer avec la Bretagne. Il faudra attendre la pose d'un câble transatlantique en 56. Suivra ensuite Telstar et bien vite la transmission par satellite comme on la connait aujourd'hui , qui nous permet une communication instantanée.
Septembre 52.
L'enfant!
Lorsque l'enfant parait, le cercle de famille applaudit à grands cris . Son doux regard qui brille fait briller tous les yeux et les plus tristes fronts les plus souillés peut-être se dérident soudain à voir l'enfant paraître innocent et joyeux.
Victor Hugo
Je me laisse balloter entre l'acclimatation du premier hiver, la chaleur de ce pays en été et l'apprentissage d'un séjour à l'hôpital pour accoucher en septembre. Séjour pénible. Us et coutumes différentes de mes habitudes de vie. Accoucher parmi des étrangers! L'humain cette machine complexe a des capacités insoupçonnées d'adaptation. Enfin ma joie de mettre au monde une fillette, avec pourtant Pierre très attentionné à mes côtés, fut un peu ternie, de ne pouvoir partager cette joie avec ma famille. Je me rappelle de lui avoir ordonné d'écrire immédiatement pour que le courrier parte et envoie une part de notre joie par avion en France. Nous compterons les jours pour l'aller : trois ou quatre et le même nombre pour attendre une réponse. Je ne sais plus qui a dit: «quand on est dans l'attente d'une joie, on est déjà dans le bonheur de cette joie».
Retour à la maison où je peux laisser ma joie éclater et montrer la nouvelle petite fille à ses deux sœurs.
Quelle sera sa nationalité? Tout enfant qui nait sur le sol de ce pays en prend la nationalité. Mais nous apprenons que si nous déclarons sa naissance au consulat Français, elle aura les 2 nationalités. Ce que nous fîmes!.
Comment fera-ton pour le baptême ? Le parrain et la marraine sont au loin, de l'autre côté de l'atlantique? Il faut nommer des représentants ? Qui a-t-on sous la main? Nous n'avons que des connaissances récentes ! Dans l'urgence nous avons opté pour deux couples qui se sont intéressés à nous comme immigrants. Je ne sais par qui ils nous ont été envoyés?. Ils venaient voir comment nous nous débrouillons dans notre quotidien en ce pays. Une sorte parrainage quoi!
Il s'appelait Paul comme le parrain de la petite! Alors pour lui rendre honneur d'avoir accepté de remplacer le parrain au baptême nous avons donné le prénom de Marie-Paule à notre fille bien que j'avais déjà choisi le prénom Annie. Au Québec le prénom doit-être précédé de Marie sur l'acte de naissance. Elle sera donc inscrite sur les registres sous les prénoms de Marie-Paule Annie.
En ces années, le curé avait aussi le statut d'officier de l'état civil. Cela changera après les années de la Révolution tranquille.
En France... enfin pour ceux qui font baptiser , le prénom Marie vient en dernier lieu. Moi je porte les prénoms de Blandine Odile Marie sur l'acte de baptême mais à la déclaration de naissance à la mairie, Marie a été occulté!
Même les garçons portent le prénom Marie en France : Pierre Marie, Jean-Marie, Yves Marie. Tandis qu'au Québec Ils commencent ... enfin je parle des années 50, ils commençaient tous par Joseph!
Bizarrerie des coutumes qui se perpétuent durant des siècles. Et puis des nouvelles générations arrivent , changent les règles et le mouvement suit.
En 1953, la télévision, ce média merveilleux m'a fait connaître la vie intime des québécois par les téléromans :« la famille Plouffe» ainsi que «Les histoires des pays d'en haut» . Elle m'a permis aussi de voir un meurtre en direct: celui du président des États-Unis.
J'ai évoluée à travers les émissions culturelles. Pierre et moi nous nous régalions de ces émissions. Je me rappelle encore de Fernand Séguin biochimiste et commentateur scientifique et son émission «le sel de la semaine» . Nous en restions bouche bée. C'était une façon d'apprendre , de retourner à l'école tout en restant chez soi!
Nous n'avions pas non plus d'émissions en direct de la France comme aujourd'hui. Les émissions de reportages arrivaient en cassettes par avion. Il faudra attendre l'avènement des transmissions par satellites avant d'avoir les reportages en direct.
Tout bougeait dans ce pays du Québec. La société de consommation était en marche. Et l'air des babyboum était commencé...