L'explosion
«Il est des voyages qui ne se révèlent qu'à vous en chemin, vous mènent par le bout du nez, lors même que vous croyez savoir où vous allez.»( Michel Le Bris).
Il y eut les derniers sursauts des effets de la guerre. Elle se termine et les Allemands fuient. Nous n'osons y croire. Je crois qu'ils ne savent pas eux-mêmes ce qu'ils doivent faire. Nous les voyons fuirent, revenir, passer par des chemins où ils ne s'étaient jamais aventurés.
Un matin tôt, une détonation nous surprend tous dans nos travaux de la ferme. Qu'est-ce? Les gens accourent des granges, de l'étable, de l'écurie ou du jardin !Tous se dirigent vers l'endroit de ce bruit. C'est dans la pièce arrière qui sert de débarras et d'atelier. François est là debout, la main sanglante, le corps tout éclaboussé de chair. Il a quinze ans.... Il a trouvé dans la cour un objet mystérieux pour lui. Comme tout gamin curieux, il l'apporte dans la maison, le met dans l'étau et veut le dévisser. Ça ressemblait à une petite boite nous dit-il? Hélas, c'était une grenade que nos envahisseurs ont jugé «intelligent» de jeter dans notre cour en partant.
Pansement rudimentaire...Attelage du char à bancs...On enveloppe François dans une couverture, un employé de ferme accompagne Pierre...Direction l'hôpital de Douarnenez à 22km de chez nous. Sûrement plus d'une heure de route au galop. Les bruits courraient que personne ne rentrait dans la ville. Les FFI (Forces françaises libres) barraient l'entrée aux Allemands ainsi qu'à toute personne pouvant être tenue pour suspecte.
Un jeune FFI voulant faire du zèle les arrête. « Où allez vous messieurs ainsi?»
Le temps pressait, François était sans connaissance. Pierre prend son fouet et décroche un coup au curieux qui recule de peur. Et fouette le cheval. Ils sont à quelques rues de l'hôpital où on les reçoit avec humanisme.
On ne sauvera pas sa main. Ses quatre doigts sont en bouillie... Longue convalescence!.
Comme mutilé de guerre, il eut droit à des petites compensations. Il fut accepté dans une école de réhabilitation de blessés de guerre. Hélas ce fut aussi le début de ses déboires. Il trouva sur son chemin des gens mal intentionnés qui profitèrent de l'innocence de sa jeunesse pour l'enrôler à ses dépens...
Marguerite à son dernier voyage dans les années 90 l'a rencontré à Nantes. Elle avait déjà subi une opération de son cancer. Quarante années séparaient leurs vies. Rencontre pénible me racontera-t-elle. Chacun évoquant leurs souvenirs, essayèrent de se remémorer et de raffermir leur lien familial. Les deux avaient vécu leur part de souffrances dont la vie se plait tant à nous infliger. A son retour, le téléphone les unit durant un ou deux. François réussit même à rejoindre ma fille Martine. Il lui dit:« je suis ton demi-frère, je savais bien qu'un jour je réussirai à vous contacter». D'entendre ces mots avec un bel accent français, elle en fut toute remuée.
Puis, plus rien... J'ose imaginer que ces quelques contacts ont embelli ses derniers rêves..
Mes filles ont toujours su l'existence, de François et Jean ainsi que de toute l'histoire de la famille. Les belles aventures et les moins belles comme il y en a dans toute bonne famille. Je suis heureuse de les avoir mises au courant. Ça me donne la liberté d'écrire sans contrainte...
«À l'école j'ai appris la grande histoire avec ses héros ! Rarement les gens du peuple devenaient héroïques au point d'avoir quelques lignes dans un journal. Aujourd'hui la télévision nous diffuse des histoires inventées dans les téléromans. Ce ne sont que fictions.
Travailler tous les jours, cuisiner, nourrir ses animaux, s'occuper d'un aîné, visiter un malade, vivre en famille, distribuer des gestes gratuits, voilà la vraie réalité qui engendre des gestes héroïques parfois. La vie quotidienne est «le mode d'être d'un être» selon un philosophe, qui, en vivant, se réitère silencieusement, s'approfondissant jour après jour en lui-même.
Dans la vie nous recevons des héritages sans testament donc sans mode d'emploi où encore des héritages d'un modèle anachronique. La pratique de la vie quotidienne comporte un sens intérieur qui s'avère une manière de faire et d'être, une manière d'agir et de sentir, une nouvelle façon de voir la réalité, de mordre à la vie, d'habiter le monde, de s'inventer eux-mêmes et d'introduire de grandes pensées dans le monde! ( André Vidricaire UQÂM) et Noémie Douillez-:Dis-nous ce que tu sais )
Blandine Meil