Puis, la demande en mariage
A une année d'intervalle, la mère de Pierre décède et ensuite ce fut le tour de Marraine.
Que d'évènements, en peu de temps. Étais-je consciente de ce qui se passait et de ce que je vivais? Il y avait la maison à faire tourner, ainsi que la ferme, en même temps que les malades à soigner. Nous avions des employés engagés et des voisins bénévoles, que l'on récompensera avec le prêt de la charrette et des chevaux.
La vie, la mort se côtoyaient en Bretagne comme des évènements naturels de la vie. On allait loin et on venait de loin pour assister à une veillée funèbre. A pied, rarement en char à bancs. Quatre ou cinq kilomètres à pied ne faisait peur à personne dans ce temps-là. Aujourd'hui, les jeunes ont réinventé cet exercice en l'appelant «randonnée pédestre»!.
Le vieux! C'est ainsi que Pierre nommait son père. En s'adressant à lui c'était toujours «Tad». Leur langue de communication était le Breton. Pauvre vieux ! il avait vécu toute sa vie dans sa ferme de kerneyen. Ce fut très dur pour lui de venir vivre à kermaléro, lorsqu'il ne pu plus s'occuper de sa femme paralysée depuis plusieurs années. La relation père-fils n'avait jamais été au beau fixe. La cohabitation n'arrangea pas la communication entre eux.
C'est marraine qui m'avait engagée, et maintenant qu'elle n'était plus là, maman insistait pour que je retourne à la maison. Mais voilà je commençais à être éprise de ce bel homme qui me prenait comme confidente. J'avais déjà connu des amourettes mais rien de comparable à ce qui m'arrive. Je n'avais pas les mots qu'il faut pour l'expliquer à maman. Pour de tels sentiments, on se confie à ses amies mais pas à ses parents.
Un jour, elle vint me chercher afin de me ramener à Kerscoulet. A un ordre de notre mère, l'obéissance était la seule issue. Et me voilà dans la routine de notre village à garder la vache à Pardigou, au Parou ou au Roz. Pierre avait des antennes car chaque fois il passait en vitesse sur son vélo et me glissait une longue lettre, où il me parlait de ses problèmes avec son père etc... Je savourai cette correspondance qui m'empêchait de l'oublier. Je cachais les lettres dans la trappe du grenier. Des années plus tard maman m'avoua les avoir trouvé et lu. Elle n'y avait rien vu d'irrévérencieux.
Deux ou trois mois passèrent ainsi, puis voilà Pierre qui arrive un soir avec sa grande demande en mariage! Les paroles que Maman prononça furent très dures, à cause de la différence d'âge entre Pierre et moi! J'avais occulté ce moment de ma mémoire, mais ma sœur Annette me l'a rappelé, car elle n'avait que seize ans à ce moment et elle eut pitié de Pierre devant la colère de Maman. Pierre en avait vu d'autres dans sa vie et ne s'en offusqua pas. «Parlementerie», conciliabule, discussion, on se quitta en bons termes. Maman , une fois qu'elle avait déversé sa colère, se calmait aussitôt.
La date du 28 octobre 1948 fut arrêté pour notre mariage. Je me rappelle de la brume épaisse du matin quand je me rendis chez la coiffeuse; signe aussi de beau temps quand la brume se lèverait dans la journée.
Le mariage à l'Église de Primelin, le repas à la salle des fêtes chez «jacquez» à Rugolva.
J'ai quelques souvenirs de l'ouverture du bal, Pierre ne savait pas danser. On fit semblant au son de la musique. Il y eut beaucoup de monde au bal. Dans ces années -là le bal était ouvert à toute la paroisse. Jeunes et vieux. Intéressés et curieux. On pouvait y venir même des paroisses voisines. Les commentaires iront bon train autour du lavoir dans les jours qui suivront.
Pierre me fit remarquer le lendemain qu'un des employés avait nettoyer l'âtre de ses cendres, frotter les clous de cuivre et astiquer les meubles. J'en fus heureuse. Je me sentie accueillie. Marguerite me montra sa chambre qu'elle avait rangée.
Il n'y eut pas de voyage de noces mais Pierre m'emmena à Quimper pour une journée un peu plus tard. La routine reprit à la ferme. Ça commençait par la traite des vaches. Nous avions quatre vaches laitières. Nous n'avions même pas d'écrémeuse en 48 . Il fallait laisser le lait se reposer dans les bassines puis il sera écrémer le lendemain matin.
On nourrissait le bétail le matin, avant de prendre le petit déjeuner. Puis la ronde des clients arrivaient soit pour acheter un ou deux litres de lait ou pour acheter des légumes
de saison, choux, tomates, poireaux etc...
C'est Pierre le premier qui me parla de bébés! Deux ans plus tard je donnais naissance à notre première fille. Bouleversement dans la routine du travail et de la maison. Un enfant c'est une telle joie dans une maison!. Tout tourne autour de lui. Ses premiers sourires, ses premiers gazouillis, ses premiers mots, ses premiers gestes.
Lorsque l'enfant parait, le cercle de famille applaudit à grands cris
Son doux regard qui brille fait briller tous les yeux
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
Innocent et Joyeux.
(Victor Hugo)