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Pour que l'histoire vive
13 mars 2014

Correspondances antérieures

100_0117

2 novembre 1992.

Lundi matin. Un vide, un grand vide. Dimanche après dimanche, le trou s'agrandit.

Pas d'espoir. Aucune joie. La tristesse est installée. D'où me viendra la petite étincelle qui me réchauffera ma semaine jusqu'à dimanche prochain.

Nous sommes allées dans le vieux Montréal. C'est elle qui me l'a demandé. Tandis que j'hésitais entre deux restaurants, elle voulait entrer dans le premier sans égards aux gens lisant le menu à la porte. Au lieu d'attendre son tour, elle passe impoliment devant les gens. Je l'interpelle! Attends lui-dis-je! Oh! toute surprise elle revient jusqu'à moi. J'ai la bougeotte me dit-elle, je ne peux rester en place. Et c'est ainsi chaque dimanche. Elle veut que nous sortions, mais je ne peux suivre  son rythme. Je ne peux converser non plus car elle est toujours dix pas en avant de moi. Plus j'hâte le pas pour l'attraper,  plus elle file. Je voudrais lui parler des beaux édifices qui nous entourent,  des parterres fleuris, de la couleur du ciel ! Elle n'est pas présente. Elle marche tête baissée, regardant ses chaussures. Elle rentre dans les groupes de gens, les dépasse, puis tout à coup me cherche, revient vers moi et repart aussitôt. Je tremble pour elle aux feux de circulation. Elle ne regarde pas, s'avance et juste à temps réalise que le feu est rouge. Si je croyais aux anges, je dirai que le sien veille sur elle. Moi je tremble, je trouve ça épuisant.

 Quand elle s'en va, je respire un peu. Je voudrais en parler mais à qui? A qui hurler mon désespoir. Heureusement qu'il y a mardi et mon atelier d'écriture où je refais mon plein d'énergie.

Nous ne sommes que lundi.  Je n'ai pas encore décoller d'hier et je pense à dimanche prochain.

19janvier 1997

 

J'attends son téléphone. En vain. Depuis une semaine elle est au centre de crise. Je ne sais si je lui fais du bien en l'appelant.

Mal. Maladie. Mauvais rongeur de cerveau pire que le cancer. Y aura-t-il un jour un médicament qui la stabilisera? C'est une morte vivante. Elle souffre et a conscience de son mal. Elle souffre de me voir souffrir aussi et de mon incapacité à  l'aider. C'est un début d'enfer.

20 Janvier 97

Elle rentre à l'hôpital. Je demande au ciel de mettre sur son chemin la personne qui saura remplacer les boulons dans les écrous défectueux de son cerveau désarticulé....

Et c'est ainsi ... Depuis combien de temps déjà? Je ne sais plus...5- 10-15-ans  et plus? Des houles furieuses, entrecoupées d'accalmies, de brusques coups de vent ramenant l'écume vers moi. Écume salée de mes larmes amères de mère. Je lutte seule contre les éléments déchainés sur lesquels je n'ai aucun contrôle. Je subis les contrecoups de la maladie mentale de ma fille. Je crie au vent déchainé mon désespoir sans fin. Quelqu'un par dessus le vacarme  entendra-t-il un jour ce cri avant que le tourbillon m'entraine?

 Mars 2014

Pierre n'a pas eu connaissance de la maladie de notre fille. Quand elle a commencé  ses premiers symptômes, il était déjà hospitalisé. Donc, je me battais seule avec mes malades. Les sympômes ? Comment se sont-ils manifestés les premières fois? Difficile  à détecter ! Repli sur soi. Se renfermer dans sa chambre. Travailler vite, vite, vite. Se plaindre de maux de tête . Quand j'y pense aujourd'hui, notre médecin de famille  à ce moment n'avait même  pas su détecter  cette maladie qui arrive après l'adolescence et je n'en avais jamais entendu en parler. Aujourd'hui heureusement on en parle partout, télé, journaux,   et on lui donne plusieurs noms. Maniaco- dépressif, Bipolarité, Schizophrénie et que sais-je?

 Elle aura 60 ans le mois prochain. Elle a appris  à se soigner avec les années et à demander de l'aide lorsqu'elle sent ses crises arriver... Ce qui  ne lui arrive plus souvent  car cette maladie se résorbe à la ménopause. Elle vient me voir lorsque ça lui tente. Elle est toujours la petite fille ricaneuse qu'elle était  enfant. Elle s'informe de ma santé et elle s'inquiète pour moi. A mon dernier rhume , elle me dit : soigne -toi bien Maman car tu sais à ton âge tu pourrais partir vite!!!

Oui Marie-Pierre, je t'écoute.

 

«Petite douceur»

Le jour où la vie me malmène trop, je me fond dans le vent, je tourne la clé de mes rêves lointains, je traverse fleuves, mers et montagnes, et me reporte dans le refuge de mon enfance.

A l'ombre d'un chêne si haut à mes yeux qu'il touche le ciel, près des saules aux chatons rieurs, je suis une reine dans mon royaume. Une vieille souche, une brassée de fougères sèches me servent de trône. Mes livres de classe sur les genoux, j'étudie. J'étudie où je rêve. Le ramage des oiseaux me parvient  comme abasourdi. Passant en rase-mottes, une alouette me frôle. Je la suis du regard. A mi-colline  une chèvre agitant ses grelots broute la lande où l'or des genêts et le rose des bruyères dominent. Le vent m'apporte leur arôme. La terre tourne. Un nuage, une ondée, je me sens bien.  J'ai à la fois, le silence et la musique. Le bruissement du ruisseau, l'angélus au clocher voisin. Quelle beauté cette nature? Je goûte le moment présent. Le monde est loin.

Blandine Meil

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Commentaires
M
Bonjour BLandine,<br /> <br /> Oui, c'est certain que l'hospitalisation d'office est quelque chose de difficile pour les malades et pour les familles ! Il n'y a pas de solutions idéales.<br /> <br /> Je viens de voir que vous aviez publié d'autres textes, vous êtes incroyablement productive<br /> <br /> <br /> <br /> Bon dimanche
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M
Blandine, après quelques jours sans vous lire je reprends contact avec votre blog et je lis cette tragédie de vie .... Que vous dire, vous souhaiter beaucoup de courage, à vous et à votre fille. Cette lutte incessante contribue à vous donner la sérénité qui illumine vos récits. Vous avez la chance d'habiter un pays à la pointe en matière de soins psy. Ses HP et leurs méthodes de travail sont souvent cités en exemple !<br /> <br /> Bizh
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E
Très émouvante cette note. Avec les blogs on ose en parler, on est derrière les écrans. On y va à petits pas. On sort ce qu'on peut essayer de partager avec les autres. Il me semble que c'est à partir de 1978 qu'on a commencé à soigner cette maladie. J'ai une soeur née en 1950 qui a un peu ce problème là. Je suis plus jeune de 2 ans et elle m'en a fait voir... ainsi qu'à ma mère. Ensuite à son mari et ses enfants et puis elle est étrange par moments. Elle peut se déchainer, devenir violente pour presque rien. On a pensé, mais pas à l'époque où nous étions enfants car on ne soignait pas ça, donc plus tard on a pensé que cela pouvait venir de la thyroïde. On lui a otée en 2007. Mais comme je ne vis pas avec elle depuis 40 ans, je ne vois pas si elle va mieux ou pas avec son traitement de lévothyrox. On a repris contact en 2012. Mais je fais toujours attention de ne pas la "froisser". Elle a toujours de drôles d'idées. Sa fille qui est née en 1977 a encore du mal avec elle. D'ailleurs de 1993 à l'année dernière, elle ne voulait pas voir sa mère et ma soeur n'a pas su qu'elle était grand-mère. Depuis peu elle le sait qu'elle est grand mère mais la petite fille aura 2 ans en juillet. <br /> <br /> J'aime beaucoup "la petite douceur" à la fin de la note. C'est très bien écrit. Bon dimanche et merci.
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L
Le sentiment d'une vie en dents de scie, le moral qui joue aux montagnes russes, les crises d'angoisse à la moindre contrariété... tous ces symptômes me parlent, je les connais trop bien, Blandine... Je les vis au quotidien et mon entourage les subit au quotidien ! Mais on finit par s'y faire.<br /> <br /> <br /> <br /> Chaleureuses bibises, kenavo
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M
Elle est différente mais je l'aime tellement<br /> <br /> <br /> <br /> C'est elle dans toute ma famille qui a le plus grand cœur au monde. Et c'est peu dire, c'est elle qui est la plus généreuse de toutes. J'ai toujours cru quelle était venue au monde avant moi pour me protéger. Quelle était en quelque sorte mon ange-gardien, mon porte bonheur. Je lui en suis toujours été secrètement reconnaissante . En naissant elle a héritée du gêne, le différent... celui que personne ne veut....Celui qui rend ta vie si ......unique. Elle, elle a volontairement décidée de le prendre pour me protéger j'en suis certaine. Depuis que j'ai pris conscience de sa différence je l'ai toujours remercier secrètement d'être venue au monde avant moi. D'avoir choisit d'être l'héritière de ce gêne. Quel chemin elle a parcourue depuis le jour où le mal s'est manifesté et les années avec lesquelles elle a dû tricoter et se battre pour en sortir. Finalement, le diagnostic est tombé et elle fût officiellement cataloguée schizophrène. Je me souviens de toutes nos conversations, nos fous rire je la trouve tellement brillante. Elle connaît tous les pays au monde ainsi que leur histoire politique à tous et chacun. Un jour elle m'a confié que les voix dans sa tête l'empêchait de se concentrer et qu'elle était malheureuse de ne plus pouvoir écouter la télévision, les nouvelles où bien ne plus être capable de lire, de s'informer et de s'ouvrir au monde entier. Les voix l'en empêchait. Quel combat...Je t'aime ma sœur xxx
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Pour que l'histoire vive
  • Au fil de ma vie j'ai accumulé des feuilles volantes de mon histoire, de mon parcours. Il s'en trouve dans des cahiers, et depuis quelques années dans les fichiers de mon ordi. je veux les partager et ainsi faire revivre l'histoire!
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