Pour que l'histoire ne meure pas.
L’histoire de la médaille oubliée!
«En la terre d’Armorique
Tout là-bas vers l’océan
Où fleurit le jonc celtique
Où vole le cormoran»
Entre mes doigts, je tourne et retourne une médaille à l’effigie de Napoléon 111.Encore un de ces objets qui traine dans mes tiroirs, dans ma boite à trésors. Bien des fois j’ai voulu la jeter, mais toujours quelque chose me retenait.
«Raconte encore grand-mère, me dit ma petite fille, l’histoire de la médaille».
Alors, pour que l’histoire ne meure pas, pour mon plaisir, celui de mes petits-enfants et peut-être de quelques lecteurs, je hisse la voile sur l’océan de ma mémoire, espérant que le vent me soit favorable, pour vous narrer ces quelques bribes de souvenirs, transmis oralement de veillée en veillée et échouant aujourd’hui sur ce rivage.
- Qui était donc cet ancêtre qui, à lui seul et pieds nus, seize hommes sauva d’un naufrage?-
Nous sommes dans les années 1840-50, sous la deuxième République. C’était donc avant le téléphone et l’électricité, avant les automobiles et du temps de la navigation à vapeur. Dans le Cap-Sizun, souvent noyé sous un crachin ou émergeant sous un ciel rieur, vivent des gens à la fois pêcheurs et cultivateurs. La vie est rude, il faut tirer son pain de là où l’on peut. Le pain de seigle, les pommes de terre, le lard et la bouillie de froment forment le menu frugal de tous les jours. Le poisson aussi, quand la mer le permet, ainsi que des berniques et des bigorneaux que les enfants cueillent à marée basse.
Dans le village de Kerdugazul habite la famille Danzé, le père, la mère et leurs trois enfants : Pierre, Yvon et Marie. Le travail ne manque pas. La terre demande des bras solides et le père est rigoureux quand il s’agit du travail.
Pierre y est habitué. Il a fait ses études collégiales au Petit Séminaire de Pont-Croix avec les pères Grignon De Monfort, où sévérité et discipline étaient au programme. Aussi, à chaque période de vacances, vive la liberté! Il prend le chemin de la côte, lieu de rendez-vous des gamins du village. Aucune crique, aucune plature (grève) ne leur sont inconnues. Ils défient la marée montante jusqu’au dernier moment et c’est un jeu pour eux, d’escalader les rochers à la vitesse de leur jeunesse. Pierre aime braver les éléments. Du sang celte coule dans ses veines, il est né, comme dit un proverbe breton, «avec de l’eau de mer autour du cœur».
- Septembre 1855. Le temps des gamineries a passé. Pierre a vingt-huit ans. Rentrant des champs, il dit à la maisonnée attablée :
- Ça moutonne au large, le mauvais temps s’en vient.
- C’est l’équinoxe lui répond son père.
Le lendemain matin, la sirène d’un navire en détresse a réveillé les gens de la côte. Pierre, sans mot dire, enfile son bragou (pantalon), sa vareuse et saute dans ses sabots. Il attrape au vol un falot que sa mère lui tend. La purée de pois est épaisse. « Sois prudent» lui dit-elle. Elle le connaissait bien son «Perric» (petit Pierre), elle savait qu’il n’en ferait qu’à sa tête ou n’agirait que selon son cœur. Chemin faisant, des voisins se joignent à lui.
-Voyez-vous quelque chose? Dirigeons nous vers Porzs Tarz il doit être dans ce coin.
Débouchant ensemble derrière la dune, ils le virent là, le géant, orgueil des mers, donnant de la bande, la coque crevée, les voiles pendantes.
-«Ce n’était plus qu’un bateau sans falot
Qui s’enfonçait coque et mâts dans les flots»
O ma Doué! O Santez Anna! O pet truez!
Tous, ils se signèrent!
Spectacle terrifiant sur l’écume bouillonnante! Des vies humaines se soulèvent et disparaissent tour à tour dans les vagues, luttant jusqu’au bout de leur souffle contre les rafales, la houle, les rocs, contre tout ce qui nage, se soulève et se brise. La mer, après les avoir bercés furieusement, les rejette à la côte, ne faisant aucune différence entre les épaves et les hommes. Et comment faire pour les remonter sur le rivage? Qui affrontera ces écueils que la mer couvre et découvre avec fracas?
Regardez, dit jean Le sabotier, voilà Pierre qui en ramène un sur son dos !
Il n’y a que lui pour risquer sa vie ainsi, dit Pierre Gloaguen son voisin.
Le danger est grand. Aucun n’ose lui dire de ne plus retourner dans cet enfer. Ils font plutôt de leur mieux pour l’aider, aussitôt qu’il en ramène un sur le rivage. Pendant ce temps, d’autres secours s’organisent. Des tombereaux garnis de paille fraiche sont amenés.
Yvon, le frère de Pierre, s’en fut quérir le médecin à Audierne, distant de cinq kilomètres. Eh! Fouette les chevaux dans les chemins boueux aux ornières bien creusées. Il avisa aussi les douaniers de la côte, selon la procédure légale. Un hôpital de fortune fut installé dans la grange des Danzé. En attendant le médecin, les femmes ont préparé des paillasses, distribué des vêtements secs, de la soupe et des boissons chaudes.
Ainsi réconfortés, rescapés et sauveteurs se remirent de leurs émotions. Pierre, les pieds et les mains ensanglantés d’avoir trente-deux fois escaladés les rochers, dormit vingt-quatre heures d’affilée. Et l’on retourna au quotidien. Les gens de la côte ayant fait leur devoir de chrétiens et de citoyens, l’Administration Maritime prit les choses en mains.
Septembre 1956- Les tours de la cathédrale Saint-Corentin viennent d’être inaugurées. Mais que nous importe, Quimper est loin. Au bourg de Primelin en Cap Sizun, dans la cour de l’école communale, presque tous les habitants sont attroupés. Que se passe-t-il donc? Les copains de Pierre, soufflent de toute la force de leurs poumons dans leurs binious! Ils sont tous parés de leurs vêtements du dimanche : Gilets brodés et bragou braz, chapeaux ronds au large ruban de velours, boucle de métal bien astiquée. On peut voir là, le représentant de l’Inscription maritime d’Audierne, le Maire de Primelin, ceint de son ruban tricolore. Après le discours d’usage, il épinglera sur la poitrine de notre héros, une médaille à l’effigie de Napoléon 111. Au revers ces mots :
Ministère de la Marine- A Pierre Danzé cultivateur-
Courage et dévouement -1856.
De leurs marches silencieuses et sûres, cent cinquante ans ont passé. Les tours de la Cathédrale de Quimper sont toujours debout, et moi, je tiens dans ma main cette médaille qui atteste de l’histoire.
Qui n’a pas dans ses tiroirs quelque objet oublié, attendant que l’on fasse revivre son histoire? Je vous mets au défi de la raconter.
Blandine Meil 1991
Commentaires ,
précisions et recherches :
Texte publié dans la revue littéraire «Arrimage» du Collège Marie-Victorin à Montréal, revue dont j’ai participé à la création. Aussitôt écrit, je l’ai posté à ma sœur Annette à Plogoff. Cartophile invétérée, collectionneuse d’écrits ayant traits au cap Sizun elle expose souvent dans les foires aux cartophiles. Elle exposait donc ce texte. Et les questions fusaient? C’étaient quel bateau Annette? Et ou au juste est-ce arrivé? Annette n’avait pas les réponses mais sa passion pour la recherche la met au contact de personnes intéressées à lui rendre service. Monsieur Paul Le Bescond grâce à la photo de la médaille trouva l’information qui nous manquait aux archives de la marine.
«La Province d’Oran», 206,60 tonneaux, Capitaine Langlois, Immatriculé à Cette (Sète).
19 hommes à bord, naufragé sous le raz de Sein, 13 septembre 1855, aucune perte d’hommes. Amateurs : le Loup et Ruel, Le Havre.
Trois médailles ont été attribuées pour trois hommes.
1-Danzé Jean-Yves, 2-Danzé Pierre, 3- Gloaguen Pierre.
Médailles de deuxième classe en argent en date du 30 décembre 1856.
Et voilà comment mon texte qui n’était brodé que sur l’existence de la médaille, d’imaginaire devint réalité. C’est vague «naufragé sous le raz de Sein ». Moi je l’ai placé à Pors Tarz endroit de la côte, très dangereuse et près du village de Kerdugazul où habitait Pierre Danzé le grand-père de mon mari.
Ce dernier me répétait souvent : mon grand-père était fort comme un titan. Dans un naufrage à la côte il ramena à lui seul 16 hommes sur le rivage.
Je lui ai inventé une sœur et un frère : Yvon. Je n’étais pas si loin de la vérité puisqu’il y a un médaillé Jean-Yves. Et un voisin Pierre Gloaguen, là je suis tombé juste. J’ai ajouté aussi : Jean le sabotier car dans tout village il y avait un sabotier et le prénom Jean était commun.
Mon ami Hervé Thomas (histoire du port du Loch canalblog) en fouillant dans la généalogie puisqu’elle fait partie de la sienne, a trouvé dix enfants et non trois comme je l’inventais. Merci Hervé pour la précision.
À Kerduzal le nom de Danzé est toujours inscrit dans le fronton au- dessus de la porte.
Blandine Meil octobre 2013