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Pour que l'histoire vive
30 août 2013

Les pierres de gué

 

gué

 

 

 

 

J'ai quatre ans. Je tiens la main d'une tante nonagénaire aveugle. Je la guide dans sa promenade quotidienne. Elle m'éveille aux bruits environnants et m'initie à la découverte de la nature en me faisant décrire ce que je vois: plantes, fleurs, oiseaux, animaux, couleur du ciel. Ce furent mes premières leçons de nature dans ma langue maternelle, le breton. Doux souvenirs que je revis avec tendresse... Baume sur mon cœur usé.

J'ai quatorze ans. J'assiste à la mort lente de ma sœur Bernadette, fauchée en pleine jeunesse par la tuberculose. Triste souvenir  que celui de la poignée de terre tombant sur le cercueil dans le froid du cimetière en ce janvier 1940.

J'ai dix huit ans. Je soigne ma marraine qui se meurt de cancer. Comment  vivre et survivre à la douleur, à la peine de l'absence.

La guerre se termine , la vie continue.

Voici l'amour qui frappe, l'amour aveugle, irraisonné. Je ne changerai pas cet instant ni l'homme qui en a été le sujet mais je le vivrai avec plus de raison.

Puis ce fut un joyeux départ pour un continent éloigné. Nous quittons  famille amis, patrie. Changement total d'univers qui me transporte de la pleine campagne  aux durs trottoirs  de ciment  de la grande ville. Ce départ aura des répercussions tout au long de ma vie. Il y aura des regrets, des douleurs de séparations qui se manifesteront bien des années plus tard.

Les joies de la maternité, je ne pouvais les partager avec mes parents que par courrier qui mettait quatre à cinq jours pour  se rendre et autant pour le retour.

Vingt ans sans retourner dans ma famille et quand enfin j'arrive, me voilà encore aux prises avec des émotions qui se heurtent. Dois-je rire ou pleurer? ma sœur Céline vient d'être enterrée. Tous sont en deuil. A quelle émotion dois-je donner libre cours? A la joie des retrouvailles  ou au chagrin de l'absence?

le cœur de la petite fille qui a grandit subit le cours des événements de sa vie malgré elle. Elle assimile les leçons de  vie tout comme autrefois elle apprenait à déchiffrer la nature près de l'aïeule aveugle.

La Vie! sable mouvant qui nous glisse sous les pieds! Suis-je donc tombée  dedans quand j'étais petite?

Quelques années de bonheur à regarder grandir mes  cinq filles. Puis les forces extérieures me bousculent encore. La paralysie de mon conjoint, voilà la nouvelle image de ma vie. Cauchemar du réveil! Plus de pourvoyeur et cinq bouches à nourrir. Ah!  Que les conseils d'une aînée me manquent! Ma force intérieure est-elle donc un gouffre où l'on peut puiser à l'infini?

Un seul regret! J'aurai aimé être une grand-mère plus présente auprès de mes petits-enfants. J'aurai aimé les bercer plus souvent. Mais voilà, à l'âge où je pourrai me reposer un peu, j'ai une malade chronique qui me demande beaucoup d'énergie... Pour surmonter tout ça un retour sur les bancs d'école  suivi d'animation d'ateliers d'écriture, à des aînées de ma trempe. Elles ont  aussi leur lot de bagage et le goût de transmettre leurs mémoires.

Voilà! ce sont quelques pierres de gué relatées en un survol de ma vie. Tout comme les pierres de gué de notre  ruisseau le Steir, sur lesquelles nous posions nos pieds pour le franchir d'une rive à l'autre, ma mémoire a retenue les plus grosses, celles qui m'ont empêché de tomber.  Celles qui m'aident aujourd'hui à me souvenir.

Comment ne pas être fière de ce que je suis aujourd'hui ? Toutes les douleurs traversées, toutes les montagnes franchies avec comme seul moteur  au fond de mon cœur  les chansons et les contes de mon enfance.

 

 

Vivant la vie heureuse , que Dieu nous fera

Attendons la faucheuse qui nous fauchera

Quand vous verrez que tombe le  dernier soir

Semez sur notre tombe des fleurs de blé noir!

 

HA, ha, nulle bretonne n'est si mignonne à voir

que celle que l'on appelle fleur de blé noir

ha ha nulle bretonne n'est si mignonne à voir

Que ma fleur de blé noir !

Botrel Théodore

 

 

 

 

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Commentaires
D
Bonjour Blandine, merci pour ce récit d'une vie ou joies et tristesses se mêlent, où l'amour toujours présent surmonte les difficultés, toutes ces pierres dans ton jardin. C'est émouvant et si bien dit. Je t'embrasse, reste avec nous encore longtemps.
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M
Quel saisissant rapproché d'images tristes ou heureuses... Tu nous offres là, Blandine, un zoom merveilleux sur ce qu'est l'existence : un bon repas avec du sucre et du poivre, de l'amer et du doux ; un beau film où l'on pleure de tristesse comme de joie ; on croit s'être battu et soudain, quoi ? On se réveille toujours là, bien présent, le même... Qui s'est battu ? Cela ne faisait-il pas partie du film ? Et qu'il était beau, ce film, qu'il était beau... Avec tous ces amis que nous sommes là, autour de toi, à t'applaudir et à te remercier, tout cet ensemble qui est l'AMOUR et qui est la seule vérité de ce que tu es ! Car vois-tu, Blandine, si un jour tu nous quittes (et on pleureras, c'est certain) pour toit ce sera toujours pareil !! Rien n'aura changé !! Tu seras toujours la même !! Avec ton radieux sourire de petite fille qui passe les gués.<br /> <br /> Et merci pour le beau poème de Botrel. Bisous !
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G
Merci à vous Blandine à vos lectures j'ai l'impression de retrouver Maman qui est décédée l'année dernière à 87 ans et qui me relatait à chacune de mes visites des morceaux de sa vie.<br /> <br /> Je vous embrasse affectueusement<br /> <br /> Geneviève
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L
En lisant ces morceaux de vie, Blandine, après avoir pris connaissance de tant de traumatismes vécus sans bruit, je sais maintenant pourquoi le mot "courage" vient de "cœur" !<br /> <br /> Sachant ô combien la tentation du désespoir peut être forte surtout face à la douleur, j'ai retenu cette formule de "force intérieure qui serait un gouffre où l'on peut puiser à l'infini"... <br /> <br /> <br /> <br /> Mes plus cordiales salutations, kenavo lointaine "cousine"<br /> <br /> Yannig
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M
Pierres de gué sur le ruisseau du Stêr : Pont Koz, Pont Kanna, Pont Trévern, Meil Kerskoulet, Meil Kergonvan, Meil Penbil. j'en oublie sans doute, de ces noms qui te sont familiers à toi et Annette, qui ont accompagné votre jeunesse. Pas de trace chez toi de Cheval d'orgueil, seulement un talent certain pour évoquer ce qui t'a fait vivre et continue de te faire vivre en nous le partageant, en toute modestie.<br /> <br /> Que de fois ai-je entendu l'époux de Mimi Louarn dire : " An ourgouilh zo eur <br /> <br /> marc'h treut.(l'orgueil est un cheval maigre !)<br /> <br /> <br /> <br /> Merci Blandine
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  • Au fil de ma vie j'ai accumulé des feuilles volantes de mon histoire, de mon parcours. Il s'en trouve dans des cahiers, et depuis quelques années dans les fichiers de mon ordi. je veux les partager et ainsi faire revivre l'histoire!
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