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Pour que l'histoire vive
3 août 2013

La courageuse vie des soeurs Goraguer

                 Marie-jeanne et Céline      les soeurs goraguer

Marie-jeanne Goraguer Et ma soeur Céline ....    Les deux soeurs Goraguer                                                                                        

 

 

 ancien-sechoir-du-seminaire-pont-croixancien -sechoir-du-seminaire-pont-croix

 

Dans les personnages que j'ai connu  et qui m'ont appris l'histoire de la vie, il y avait aussi la vieille tante qui avait servie de mère à maman.

Au fait,  elles étaient deux. Deux mères substituts. L'une âgée de  61 ans,  l'autre de 55 ans, le jour où elles ont tourné le coin de la grande rue à Kerscoulet, portant chacune leur baluchon.

D'où venaient-elles?  Elles étaient nées à Kerscoulet, l'une en 1837, l'autre en 1843. Filles de Yves Goraguer et Philistine Couillandre. Marie-Jeanne et Jeanne Marie. Je ne sais qui étaient leurs parrains et marraines, mais ils auraient dû se forcer un peu pour varier les prénoms. Enfin cela est mon opinion personnelle et ça ne leur a nui nullement dans leur longue vie. Donc le lien de parenté avec maman: Elles étaient les sœurs de sa grand-mère Marie-Yvonne Goraguer née en 1827.

Mon souvenir le plus lointain alors que je devais avoir 3 ou 4 ans, j'entends maman dire: va promener ta tante un peu et ne lui lâche pas la main. Elle devait avoir alors 90 ans. Et me voilà dans la grande rue de kerscoulet avec maern goz marchant à l'aide de son bâton car elle était complètement aveugle. Tourne ici me dit-elle en passant devant la grille de la ferme de Guillaume  Pensel.  Je la suis, ou je la mène, peu importe. Il y avait là une truie et sa portée de gorets. Tu vois la truie me dit-elle? Combien y a-t-il de cochons? je la regarde et je pense: comment sait-elle qu'il y a plus qu'un ? Je crois même lui avoir posé la question. Elle me répond: je ne les vois pas mais je les entends ma petite... Compte -les et dis moi combien ? un, deux, trois... et  je comptais jusqu'à dix, en même temps que je découvrais qu'on peut voir avec les oreilles.

Une autre fois elle me faisait découvrir des nids. Elle tapait sur les buissons avec son bâton et me dit: Tu l'as vu partir? quelle couleur avait-il? Cherche maintenant l'endroit d'où l'oiseau est parti!. Écarte les branches et tu trouveras un nid, mais ne mets pas ta main dedans  sinon la mère ne reviendra plus couver ses œufs, elle n'aime pas l'odeur des humains. D'autres fois c'était une senteur de fleurs qui lui allait jusqu'aux narines . Vois-tu une fleur rose ici, ou une fleur jaune ou violette?. C'est ainsi que j'ai appris les leçons de la nature par les oreilles et les sens d'une vieille tante aveugle.

Un autre jour où je devais gêner maman près du fourneau, elle me chasse avec le torchon (le linge à vaisselle) et maern goz me dit: viens ici vite, cache toi sous mon tablier et elle me couvre la tête avec son tablier en disant: Elle n'est pas ici, Jeanne Yvonne... du moins moi je ne la vois pas! Et maman partit à rire... vous avez raison maern,  vous ne pouvez pas si bien dire....

Quel avait été leur chemin à ces deux femmes avant de revenir chercher refuge dans leur village natal? C'étaient deux lingères d'un couvent de Pont-Croix, probablement ce que nous appelons le petit Séminaire. Elles devaient s'occuper des vêtements des pères- les Pères Grignon de Montfort-  des ornements de la chapelle Saint Vincent, et probablement de la literie de tout ce monde  et peut-être même des pensionnaires qui étaient nombreux, entre deux et trois cent dans ces années. Elles ne devaient pas être seules à accomplir leurs tâches, tout un monde féminin devait s'y activer.

La tante Jeanne- Marie y travaillait déjà depuis longtemps lorsqu'elle fit venir sa sœur  Marie-Jeanne qui ne savait où aller après avoir quitter son mari. Elle était marié à un veuf avec deux enfants déjà grands et d'après les dire, ce sont eux qui battaient leur belle-mère...

Ces deux femmes ont travaillé très dur sûrement, soit à genoux dans un lavoir à frotter du linge ou à l'étendre sur des séchoirs, ou des journées entières devant les fers à repasser au charbon. On imagine qu'elles étaient nourries et loger. Jusqu'au jour où s'avançant  en âge, elle furent remplacées par des plus jeunes et congédiées. L'une avait 55 ans et l'autre 61 ans.

Et où aller? N'ayant plus de foyer, elle ne voyait que l'hospice pour les recevoir....

1898 à kerscoulet, leur neveu -mon grand-père - vient de perdre sa femme. Il reste seul avec trois enfants de deux à cinq ans à élever ....

Les vieilles tantes le savent car en Bretagne lors d'un décès la plus lointaine parenté est avisée. Elles se sont dit: Et si nous tentions notre chance en  offrant à notre neveu de l'aider à élever les enfants! leur choix était simple. Depuis peu le petit train «yaoutar» venant de Douarnenez passe par Pont-Croix et vient jusqu'à Audierne. Ce fut la première fois de leur vie qu'elles montèrent dans un train, encouragées sans doute par les élèves du Collège où elles œuvraient, qui eux l'empruntaient dans leurs congés scolaire pour se rendre à Audierne. Un trajet de 6 km.  Après on se débrouille pour faire les autres 6 km. Soit une charrette ou un char-à-bancs de fermiers qui se trouve là à gare pour le transport de ses récoltes, ou alors on le fait à pied.

Et c'est ainsi que ces deux courageuses femmes arrivèrent à kerscoulet, demander asile et offrant leurs services en retour. S'occuper de trois orphelins en échange du logis. Il fallu bien se tasser et même emprunter une chambrette chez la sœur de grand-père jouxtant à notre pennty.  Car en ces années la vache logeait encore dans le bas-côté, il n'y avait qu'une seule pièce qui servait de lieu de vie  avec le grand âtre pour faire la cuisine, ainsi que deux lits clos pour coucher. Une armoire pour la lingerie, un vaisselier, une table-huche où l'on pétrissait le pain et deux bancs en bois.

Grand-père se dépêcha  de construire un bout d'étable dans la cour afin d'y loger la vache et libérer ainsi une nouvelle pièce que l'on aménagera en chambre.

Je n'ai pas connu la tante Jeanne- Marie. Elle est décédée de la grippe espagnole en 1917 à 74 ans. Mais je sais que les deux s'attelaient du matin au soir pour avoir soin des enfants, de la vache et du cochon.   Je me rappelle très bien de sa sœur Magn toz déformation de Maern goz ( vieille marraine) qui a vécue jusqu'à l'âge de 96 ans chez nous à kerscoulet.

Maintenant je comprend pourquoi Maman fut retirée de l'école durant l'année du certificat. Elle avait 14 ans. Et cette vieille tante avait donc 73 ans. Il était temps la pauvre, qu'elle se repose un peu.

Elle a dû avoir une grande influence sur l'éducation de maman. Peut-être qu'au contact des gens d'éducation à Pont-Croix avaient-elles acquises une certaine connaissance générale? D'après maman elle parlait souvent du Roi Louis Philippe. Elle disait que c'était «un bon roi et qu'il aurait dû continuer à bien gérer la nation». C'est là que des points d'interrogations dansaient dans ma tête! J'avais répondu à ma mère mais le roi Louis Philippe est dans mon livre d'histoire?!!! et moi qui apprenait l'histoire de France à l'école de Primelin en 1935 je me disais:«J'ai connu une personne qui a vécue sous Louis Philippe!!!!».

Et voilà la longue et courageuse  vie des deux sœurs Goraguer: Jeanne-Marie et Marie-Jeanne, qui à l'heure de la retraite ont élevé une famille de trois enfants.

Et comment par mes souvenirs, mes questionnements, les souvenirs de ma sœur Annette que je sollicite par Internet et Skype, j'ai réussi à narrer cette histoire...

La Bretagne recèle  dans son histoire moult vies toutes aussi vaillantes que la nôtre !

 

 

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Commentaires
M
Merci Blandine, pour tous ces beaux souvenirs si enrichissants ! On n'y trouve que chaleur, tendresse, courage... La véritable Humanité !
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B
C'est un magnifique récit hommage à ces deux tantes marraines, femmes si courageuses. Merci du partage.<br /> <br /> Je me suis abonnée à la newsletter pour ne plus manquer vos récits. Amitiés, Jocelyne
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P
Je crois qu'il y a dans chaque famille des personnages comme vos deux tantes qui avec simplicité et discrétion vivent le quotidien de façon extraordinaire. Chez-nous on l’appelait "ma tante Augustine". Une sœur de ma grand-mère qui nous a élevés avec ma mère du temps que mon père était voyageur. Récemment j'ai raconté son histoire à ma petite-fille Maélie. Un jour en regardant de vieille photos avec la petite, je tombe sur un portrait de "ma tante". <br /> <br /> __"Regarde, c'est elle ma tante Augustine"<br /> <br /> __"Quoi ?? Elle a vraiment existé ?? Je croyais que c'était un conte que tu avais inventé"
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M
encore un autre beau récit et le cantique de tante Annette..........wow , ça résume la vie de 95% des gens
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M
Justement, je rentre de chez ma mère qui habite à quelques centaines de mètres de chez moi et j'ai fait le "mern vihen", (orthographe tout à fait fantaisiste) : , un bon far et une tasse de thé ( je crains le café, que j'adore, mais qui a tendance à me rendre insomniaque ) ..... j'aimerais également que vous nous fassiez part de vos impressions et surprises lorsque vous avez mis les pieds sur le nouveau continent !<br /> <br /> <br /> <br /> Merci encore de nous régaler de vos récits !<br /> <br /> <br /> <br /> MC
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  • Au fil de ma vie j'ai accumulé des feuilles volantes de mon histoire, de mon parcours. Il s'en trouve dans des cahiers, et depuis quelques années dans les fichiers de mon ordi. je veux les partager et ainsi faire revivre l'histoire!
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