Le temps de l'ouvroir
OÙ suis-je ? peut-être la deuxème à partir de la gauche en manteau clair. Merci à Annick Pelleteur pour le partage des photos...
Les deux aînés avec les religieuses sont les fondateurs de l'école Sainte Jeanne d'Arc.
Vous reconnaissez-vous sur l'une de ces photos ? Identifiez-vous en écrivant à l'auteur...merci...
Le temps de l'ouvroir à Esquibien chez les religieuses fut un temps de bonheur. Après la mort de Bernadette, j'ai hérité de sa bicyclette. Vive les coups de pédales même en sabots de bois. Je me rappelle d'avoir quémander des souliers à maman car j'étais la seule à aller en sabots. Et roule sur la Nationale, matin, midi et soir! nous rencontrions peu de voitures automobiles dans ces années quarante!
A l'ouvroir nous devions fournir notre propre travail de couture. Une journée par semaine était consacrée au travail de coupe et de confection de patrons. Une autre journée nous devions coudre pour les sœurs. Ah! le reprisage de leurs coiffes blanches, toutes rongées par les épingles qui les retenaient! Il y avait aussi les longues traines plissées qu'elles accrochaient à leur taille et qu'elles relevaient pour s'asseoir! Les reprises en fil blanc devaient être impeccables, sinon nous devions recommencer. Toutes nous détestions cette journée. Comme nous étions en pleine guerre et que le tissu manquait, le contenu des grandes armoires bretonnes remplies de draps en lin, en pur fil et en coton, nous fut d'un grand secours à ces futures couturières en herbe que nous étions. Des piles de draps usées furent passer à la teinture et l'on se mit à confectionner des sarraus, des tabliers, dans les parties encore en bon état. La mode aussi était aux draps ajourés et brodés. Nous apprîmes donc à faire des jours simples, des jours «Venise» où des jours travaillés. Quelquefois nous brodions seulement des initiales au centre mais le plus souvent nous brodions des fleurs et des arabesques en broderie Richelieu. Après notre apprentissage à Rosalie et moi à l'ouvroir, l'armoire de maman ne contenait que des draps brodés. J'en ai hérité de quelques-uns que j'ai conservé longtemps dans mes tiroirs de commode au Québec, mais hélas tout s'use... comme moi d'ailleurs!...
Malgré la guerre sournoise qui était là, ce temps d'apprentissage à l'ouvroir fut un temps de bonheur. Le contact avec toutes ces jeunes filles d'Esquibien fut un enrichissement. Les sœurs nous faisaient chanter en travaillant -ça empêchait les conciliabules- et c'est là que j'ai appris le répertoire des chants patriotiques breton! les chants de la J.O.C. etc. J'ai encore mon cahier de chant, et mon cahier de coupe et patrons je l'ai léguer à ma petite fille Corinne lorsqu'elle est entrée en «désigner» de mode l'an dernier.
Est-ce que j'aimais la couture? pas évidemment. J'aimais les cours de coupe et patrons et la broderie surtout! car là mon imagination pouvait alors vagabonder tout en chantant. J'ai toujours préféré le travail de création plus que la routine. Heureusement que ma mère Jeanne-Yvonne veillait: Continue à apprendre me disait-elle, tu ne sais jamais quand ce métier pourra te servir!
Avec le temps j'ai pu vérifier la véracité de ses dires! Quand des années plus tard, je devins pourvoyeuses avec cinq enfants à nourrir, la couture a été mon salut.
Rosalie a vécue de son métier. Elle eut quelques clientes à la maison autant pour la couture que pour la broderie. Elle a brodé des trousseaux entiers à des futures mariées. Plus tard, après avoir élevé ses enfants, elle travaillera longtemps chez un tailleur à Audierne...
Elle eut droit (le droit d'ainesse pourrai-je dire) à une nouvelle machine à coudre, car jusque là nous cousions avec une machine à manivelle, celle de Tante Anna. Imaginez: la main droite était toujours sur la manivelle tandis que la main gauche guidait le tissu sous le pied de biche. Donc la grande modernité, ce fut une machine à coudre à pédales : Ô ma Doué, nous avions nos deux mains libres pour coudre!
Tire, tire, tire l'aiguille ma fille !
Demain tu te maries ma fille!
A l'ouvroir, on me permettait de faire toutes les étapes seules, prendre les mesures, tracer un patron, tailler, coudre à la machine, faire les finitions à la main. À la maison c'est toujours Rosalie qui menait et elle ne me donnait que les finitions à faire: défaufiler, faire les boutonnières, poser les pressions. Toujours les même tâches répétitives. En bonne fille obéissante, je subissais sans rien dire tout en étant insatisfaite de mon sort.. Aujourd'hui, je comprends que Jeanne-Yvonne (ma mère) voulait mettre Rosalie, l'aînée, de l'avant afin que les clientes sachent quelle bonne couturière elle était. C'est ainsi que la réputation se faisait en ce temps-là.«Pour qu'un jour un quartier maître de la Marine nationale, et pourquoi pas un Second maître galonné» vienne à passer par là avec une demande en mariage!!!
Finalement, je me suis mariée la première! il y avait une expression bretonne qui disait: «Obar deï eur ch'arrad foen». ( Donner à l'aînée une charrette de foin).
Excuse-moi Rosalie! du fond de ton paradis durement gagner, tu étais toujours la première à rire de mes farces et il faut bien que je mette un peu de «piquant» dans ce blog si je veux être lue.
Le sort en est jeté! le progrès n'arrête jamais! Quel plaisir quand un jour au Québec, je fis l'acquisition d'une machine à coudre électronique? Tout juste si elle n'obéit pas à ma voix!!!! Et tous ces petits points qui me horripilaient dans ma jeunesse, ont été mon sauf-conduit pour gagner le pain du ménage un jour!