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Pour que l'histoire vive
20 juin 2013

Les sabots de bois

sabot

 Ma boutou koat,

Il pleut, il a plu toute la journée. Un moment nous avons joué dans la chambre à l’étage mais quand maman a entendu qu’une bataille d’oreillers avait  commencé, elle nous a fait descendre dans la cuisine-salle familiale. Les jeux reprennent autour de la table; pas facile de faire tenir tranquille des petites filles turbulentes et ricaneuses. La nappe en toile cirée va et vient au gré de nos jeux. Flac! Un coup de linge à vaisselle sur le bout de la table, arrête net nos jeux. Elle nous sépare; Une, dans la chambre du haut seule, pour réfléchir, une dans la chambre en bas, une autre restera dans la cuisine avec Annette qui devait avoir 2 ans. Toi me dit-elle, va voir ton oncle dans l’atelier! Aïe! J’eu très peur. Je sors en vitesse et je cogne à la porte qui d’habitude est toujours ouverte. Mais cette pluie met de l’humidité partout et mon oncle jean-Guy l’avait fermé afin d’avoir un peu plus de chaleur. D’habitude nous n’avions pas le droit d’aller là à cause de ses outils coupants. Un  toc, toc, timide et la porte s’ouvre! Ha c’est toi? Maman t’a encore grondée hein? Approche me dit-il, vient t’asseoir sur ce coussin, regarde comme c’est doux et ça sent bon! En effet il me fit asseoir sur le tas de copeaux fraichement raboté. Il me déroule un joli ruban de bois : étire le, sent le, me dit Parrain (il était le parrain de Rosalie et nous l’appelions toutes ainsi). J’ai joué là durant une heure sûrement, écoutant le bruit du rabot, du paroir ou de la tarière ne voyant pas le temps passer. Ce souvenir qui était relégué au fond de ma mémoire m’est revenu dans un exercice d’atelier d’écriture, lorsque afin de ramener un souvenir enfoui, l’on m’a fait sentir des odeurs spécialement choisies mais non identifiées  comme du cuir, de la cannelle, du café et le fameux bran de scie! qui a déclenché ce souvenir.

Tout comme mon grand-père son fils jean-Guy  a continué les métiers de couvreur et de sabotier. Il a habité chez nous jusqu’à son mariage. Je me suis ennuyée de lui quand il a pris maison. Il répondait toujours à mes interrogations.

Même si j’étais très  jeune, il me confiait les ciseaux de bois pour sculpter les sabots ce qui faisait raler tante Anna. Il avait le don de la faire taire avec un tuttutut… Elle est capable, laisse la faire  disait-il!

Quand il coupait un arbre, c’est maman qui l’aidait à le scier avec un gros «harpon». Enfin nous l’appelions ainsi. C’était une grande scie d’un mètre de long avec une poignée de bois à chaque bout. L’arbre était ainsi débité en rondins de la longueur d’un sabot. Le frêne,  le hêtre ou le noyer étaient les meilleures essences choisies pour les sabots. L’établi dans l’étable était un tronc d'arbre grossièrement équarri dont les pattes étaient de simples rondins. Le plus gros outil était le paroir toujours attaché par un bout  à l’établi  car il était lourd à manier. C'est avec cet outil qu'il équarrissait la pièce de bois pour en former un sabot. Ensuite, la tarière entrait en jeu, grande vrille qui servait à ouvrir le chemin pour le  cuiller, genre de grande cuillère coupante qui  en creusant faisait virevolter les minces copeaux de rubans rose. Pour la finition, il y avait le grattoir, la raclette et le polissoir.  Peu à peu le sabot aux courbes subtiles apparaissaient  dans les mains savantes de l'artisan! On pouvait les enduire  d'une teinture à base de noir de fumée ou les badigeonner à l'huile de lin. On pouvait aussi les ferrer. J'ai connu aussi les clous à tête plate ainsi que les semelles en caoutchouc coupées dans de vieux pneus de bicyclette. Ce qui prolongeait la vie des sabots ainsi parés.  

Les sabots étaient très pratiques pour protéger les pieds de l'humidité et des chemins terreux. Qualité et confort.  Les vieux les garnissaient de paille ou de foin sec. Notre génération a connu les chaussons ou les pantoufles en feutre. Pour le dimanche nous portions des socques, sabots très évasés mais recouverts de cuir noir et qu'il fallait cirer avant d'aller à la messe, ou au marché.

C'est encore mon oncle Jean-Guy qui m'a offert ma première paire de sabots  recouverts de cuir à l'âge de 14 ans. Peu à peu vers 1950 et les années d'après-guerre, la mode des bottes en caoutchouc est arrivée, faisant disparaitre en même temps ce beau métier d'artisan.

Ici, je vous partage un beau texte de Gilles Vigneault qui rend hommage aux artisans.

L'artisan

« Humblement l'artisan met le temps de son bord. En faisant semblant de ne pas le connaitre, il l'a apprivoisé. Et comme il ne se prend pas pour un artiste, mais simplement pour quelqu'un qui fait les choses, en bois, en terre, en fer, en verre ou en sable pour son propre plaisir comme, éventuellement pour le bonheur des autres, il ne rêve pas de dompter le temps. Ni de l'arracher, ni de le contraindre. Alors le temps ne craint pas de s'asseoir auprès de l'artisan quand celui-ci travaille, sans toucher le bout d'un outil, sans manifester un instant sa présence. Il est là jusqu'à ce que l'artisan s'arrête et regarde l'horloge, tout étonné d'avoir été si lent. Mais le travail est fait. L'objet est né. Et l'artisan se dit qu'il n'a pas vu le passer le temps.

Aussi, le lendemain, comme il fait pour les grands créateurs, le temps revient s'asseoir à la même place...»

013[1]

Sabots d'enfants, datant de 1950...

 

 

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Commentaires
M
Sais-tu que moi aussi, dès que tu as dit que tu t'asseyais sur les copeaux de bois, j'ai vivement ressenti l'odeur de la scierie ! Et qu'elle ne m'a plus quittée tout le temps que tu en as parlé !! C'est puissant, cette odeur... C'est magnifique et délicieusement émouvant comme tu racontes cela. Mais j'imaginais qu'on n'était pas confortable dans des sabots de bois, parce qu'ils ne se "font" pas au pied ; sauf si le sabotier vous les ajuste exactement peut-être ? Maintenant je porte toujours des sabots de caoutchouc (ou plastique je ne sais trop, en tous cas, durs) et c'est bien pratique en tout cas. A propos de sabotier il y en a un à Plouézec en Côtes d'Armor là où j'allais en vacances, et certainement bien d'autres car cela revient en vogue... Bises !
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G
Mon papa ( 1920-2002 ) nous racontait, quand il était jeune, qu'il avait porté des sabots de bois et des galoches,et il disait que c'était très confortable. Bisous
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M
Le métier de sabotier n'est pas encore mort il y en a un qui résiste à Riec sur Bélon il n'y a pas que les huitres ou les galettes à Riec il y a donc le sabotier qui a remit au goût du jour ses sabots, ils sont magnifiques et en couleur et çà marche plutôt bien <br /> <br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=TWY9U-rXkE0
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B
Ce très beau texte me touche beaucoup. Merci pour ce partage.
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  • Au fil de ma vie j'ai accumulé des feuilles volantes de mon histoire, de mon parcours. Il s'en trouve dans des cahiers, et depuis quelques années dans les fichiers de mon ordi. je veux les partager et ainsi faire revivre l'histoire!
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