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Pour que l'histoire vive
1 juin 2013

Souvenirs de la guerre

MARCH%~2

Carte postale ancienne montrant le marché du samedi à Audierne

en plein centre les coiffes des «Capen« cotoient les «penn sardines» de douarnenez

pour voir le marché aujourd'hui voir  www.audierne/info

 

Juin 1940. C'est la guerre. Mais la vie continue dans notre pays du Cap Sizun. Nous savions que les Allemands commençaient à envahir la France mais jusque là nous n'en souffrions pas encore.   

Samedi. C'est le marché en plein air à  Audierne  distant de 6 km. Je m'y rends avec Maman en autocar qui partait de Rugolva en  Primelin. Le chauffeur et propriétaire  du car s'appelait Jean Pape. Il conduisait les gens à Audierne dans un vieux car usé qui avait de la difficulté à monter la côte de «la croix saint-Denis,  tout juste si nous ne devions pas  sortir pour le pousser. Il avait un klaxon aussi vieux que son engin, on aurait dit qu'il criait :« Jean Pape, Jean Pape» d'une voix enrouée!. Enfin c'était la blague du jour à chaque fois.

 Ce samedi là maman doit m'acheter des vraies jarretelles pour tenir mes bas. Jusque là je portais cousues à mon corset des élastiques munies à leurs bouts par un bouton; à mes bas était cousue une ganse qui s'accrochait au bouton. Je vais sur mes quinze ans et je suis toute fière en pensant aux jarretelles  de jeune fille que je porterai enfin.

J'aimais l'animation de ce marché du samedi où l'on retrouvait toutes sortes de marchandises sous les tentes. En plus du marché local de fruits, légumes, produits laitiers et pâtisseries, bouchers, poissonniers,  on y côtoyait le marché aux fleurs, celui des marchands de sabots, on y voyait la Bidoudène travailler sa dentelle en fil d'Irlande, crochet en mains assise sur  une chaise, une petite table dressée devant-elle où s'étalaient ses nappes, napperons, cols, rideaux le tout étalé pour la vente...On y rencontrait des commerçants venus d'aussi loin que de Douarnenez, Pont-croix ou Plozévet, des marchands de faïence, de tissu, de mercerie, des amuseurs publics etc.

Tandis que maman marchandait mes jarretières, un car venant de Quimper s'arrête sur la place.  Je me rappelle d'avoir crié: maman, maman! Regarde c'est Papa!!!!! Il y avait plus d'un mois que maman n'avait eu de ses nouvelles et nous étions inquiets à la maison car nous savions que les allemands avaient envahis le Nord de la France et la côte de la manche.

Maman se retourne et lâche son achat, en effet papa est là en bleu de chauffe, sa tenue de travail, tout sale, avec sa barbe de quelques jours, ce qui était intrigant. Il avait la fonction de second maître chauffeur à bord du chalutier. J'espérais dit-il à Maman te trouver au marché !

Bon, me dit maman, papa va continuer dans son car «La S.a.t.o.s» jusqu'à Rugolva  et  nous deux nous allons partir avec le « car Jean Pape». Adieu jarretelles  neuves! ce sera pour une autre fois.

Le lendemain quand papa se fut reposé il nous relata son périple.

Il était en mer depuis deux semaines. Point de radio à bord. Ils ont pêchés et quand les cales furent pleines, ils prirent la route du port, ignorant que les allemands avaient envahis Dieppe et les ports de la manche. En approchant ils virent des gens sur la jetée qui leurs faisaient des grands signaux et d'autres signaux venant du Sémaphore leur ordonnaient de s'éloigner. C'est que le port était miné par les Allemands. Papa dit: La mer était de lait  cette journée là . (C'était la première fois que j'entendais cette expression) C'est ce qui les a sauvés. Ils ont accostés sans toucher aucune mine, mais un chalutier arrivé une heure avant eux n'eut pas cette chance, il sauta corps et biens.

Une fois à terre papa se dirigea vers la pension où il logeait et où il avait sa chambre et ses effets. Quelle déception! personne à la pension. La logeuse avait fui et les allemands occupaient la maison.  Que faire? où aller? Il décide d'aller à la gare. Rien, plus aucun train ne circulait, ni aucun car. Alors comme ça sans valise et les mains dans les poches vides, il se met à marcher en suivant les rails de chemin de fer. Il se dit: si un train passe, je sauterai dedans. Et il marcha un temps de jour et un temps de la nuit, jusqu'à une gare ou il trouva un train de marchandises dans lequel il fit un bout de chemin jusqu'à une prochaine gare.

Et de gare en gare, je ne sais au bout de combien de jours  il fut soulagé de se trouver enfin à Quimper, d'où il trouva un car direction de  La Pointe du Raz.  C'est ainsi que nous le vîmes à la portière du car, tout heureux  de nous trouver et de se trouver là.

 Et ce fut le début de sa période de chômage. Il seconda maman dans les travaux des champs. Il s'essaya au métier de sabotiers sous la vigilance de notre oncle Jean-Guy, le frère de Maman qui lui, vivait de ce métier. Il fit quelques corvées chez les fermiers avoisinant, mais ça ne comblait pas son besoin de faire vivre sa famille et il s'ennuyait de son métier de la mer.

Durant cette période les Allemands envahirent la Bretagne et notre coin de pays du Cap Sizun. Nous dûmes nous adaptés à leur présence et à leurs exigences. Les couvre-feu à 7h du soir nous furent pénibles. Tout laboureur de la terre avait l'habitude de travailler les soirs d'été dans les champs tant que la clarté est là. Souvent ils profitaient de la période d'après souper pour étendre le fumier ou le lisier afin que l'odeur se disperse durant la nuit. Il fallait donc demander un laisser- passer à la kommandantur pour avoir le droit  de terminer sa journée de travail. Quelle dérision!!! Pour toutes les occasions de sorties  le soir, il fallait en demander la permission aux Allemands qui contrôlaient ainsi la population.

Suite aux bombardements des alliés sur Brest pour y chasser les allemands, nous subîmes au Cap Sizun quelques lâcher de bombes. Souvent vers 6 heures du matin nous étions réveillés par le grondement lourd de leurs moteurs. Et là nous nous asseyions dans nos lits dans l'attente du boum que faisait le lâcher de la bombe. Ils visaient n'importe où au hasard pour apeurer les gens.

«Le récit qui suit m'a été raconté par ma soeur Annette»:

Ce fut un de ces matins que papa décida de repartir chercher du travail dans un port quelconque. Il fit sa petite valise très tôt  et j'entendis les larmoiements de notre mère, les conciliabules, les discussions. Papa prit la route à pied. Après quelques kilomètres, voilà le ronron du lâcheur de bombes qui se fait entendre. Papa se cache dans le fossé plein d'eau. Et Boum ! L'avion  en lâcha deux cette journée à Esquibien un peu avant l'endroit appelé: «La croix rouge».Une maison fut détruite et il y eut mort d'homme. Les pompiers, la gendarmerie vinrent faire les constatations. Papa se terrait toujours dans le fossé attendant une accalmie. Il devait se rappeler la guerre des tranchées de 1918 sur le front de Verdun. Puis quand tout se fut calmé, il sortit de sa cachette et revint à kerscoulet découragé de la sale guerre. Maman poussa un soupir de soulagement en le voyant arrivé.

Il attendit la fin de la guerre en 1944 pour retourner à son métier de pêche hauturière. Il trouva un embarquement à la Rochelle. Il était né en 1896. il avait donc 48 ans. Il trouvait cela de plus en plus pénible. Ce n'était plus le travail artisanal d'avant-guerre. Les chalutiers se modernisaient  avec des moteurs au diesel et non au charbon comme il avait connu à Dieppe. (Ainsi raconte Annette).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
E
Bonjour Blandine, j'ai déjà raconté l'histoire de mon grand-père, par morceaux, sur mon blog. Et puis j'ai mis toute l'histoire dans mon livre paru il y a 4 ans, dont le titre est ARTHUR et MADELEINE. Il est en vente sur mon blog. Il a 3 chapitres. Le second reprend intégralement le journal de guerre de mon grand-père. Oui, tu pourras ressortir ta note pour le 11 novembre, pourquoi pas. Bises.
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E
Je tombe par hasard sur ton récit. Il n'a pas eu de commentaire, et pourtant, il est tellement émouvant, riche d'événements. Dommage.... peut être que tu pourrais la remettre....<br /> <br /> Le père de mon père était né en 1893, trois ans seulement plus âgé que ton père. Il avait fait aussi la guerre 1914 et en 1915 il a été fait prisonnier. On l'a emmené en Allemagne. Il me reste quelques photos de cette époque là. Aussi, pour la seconde guerre, il est entré dans la résistance. Je pourrais en raconter aussi, mais pas ici car ce serait trop long. Bonne journée Blandine. Bisous de France.
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  • Au fil de ma vie j'ai accumulé des feuilles volantes de mon histoire, de mon parcours. Il s'en trouve dans des cahiers, et depuis quelques années dans les fichiers de mon ordi. je veux les partager et ainsi faire revivre l'histoire!
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