La corvée de lessive
Jeudi, jour de congé scolaire.
Maman entassait le linge sale dans un drap, en nouait les quatre coins. Elle insérait son bras sous le gros noeud et d'un élan envoyait le tout sur son dos. Mes soeurs et moi, nous étions chargées du transport du savon, du battoir et de la caisse en bois qui servait de genouillère. Nous voilà sur le chemin du ruisseau, une marche de six à sept minutes pour la descente jusqu'en bas dans la vallée où coulait le Steir; Gros ruisseau à l'eau claire et chantonnante qui serpentait à travers les prés, parfois à ciel ouvert, parfois sous couvert des chênes et des noisetiers. Notre plaisir était de descendre la colline -ar roz- à la vitesse de nos petites jambes en faisant claquer nos sabots sur le sentier, soulevant des nuages de poussières l'été.
À l'arrivée , la corvée commençait.
Une large et longue pierre plate, un vrai mégalithe enjambait le Steir d'un pré à l'autre. C'était le lieu de la lessive- ar prat-. Maman calait la genouillère contre la pierre - cette caisse de bois à trois côtés dont le fond était coussiné avec du foin sec- et s'y agenouillait. Après un premier triage , chaque pièce de linge était mouillée dans cette belle eau claire, frottée au gros savon de Marseille, empilés pour le trempage: draps, serviettes, linge à vaisselle, tabliers, sarraus etc. puis frotte chaque pièce avec les mains et claque le battoir. Nous les enfants, participions à la corvée à la mesure de nos forces. A genoux dans l'herbe ou, par temps chaud nous enlevions nos bas et hop! debout dans le ruisseau profond d'une trentaine de cm. environ. Notre tâche consistait à laver les mouchoirs, les morceaux délicats, mais gare à ne pas les déchirer en les tordant. C'est ainsi que débutait l'apprentissage de notre vie de ménagère, l'apprentissage de la propreté.
Nous étions alors âgées de dix, douze ou quatorze ans. Nous ne pouvions comme les adultes rester dans l'eau trop longtemps. Quand maman s'apercevait de notre fatigue, elle nous disait: Allez hop ma bugale(mes enfants), dégourdissez vos jambes! Nous n'attendions que ces mots. A nous la découverte alors de l'univers! Notre univers; Le ruisseau clair et chantant, les petites cascades, le chant des oiseaux que nous effarouchions, le bruit du vent dans les branches, sinistre ou tendre selon les saisons. Nous partions à la découverte des nids, à la cueillette des fleurs qui abondent dans cette vallée. Narcisses, jonquilles, jacinthes, pâquerettes, et dans les talus le houx à boules rouges, les campanules, les églantiers tous aussi parfumés les uns que les autres. Nos jeux et nos cueillettes se continuaient jusqu'à ce que maman nous appelle, hou-hou! nous répondions, hou-hou et l'écho répétait d'un côté du Steir à l'autre houhou-houhou! C'était l'heure de ramener le linge mouillé à la maison.
Chacune devait porter sa petite charge sur ses épaules. Une ou deux serviettes autour du cou et un drap pardessus. Maman remplissait son panier du reste du linge et le hissait sur sa tête. Alors d'un pas dandinant, une main sur une hanche, de l'autre tenant le panier, le buste en avant, droite et fière à faire rougir les mannequins d'aujourd'hui, elle remontait le roz du Steir au village. Nous la suivions ou la précédions souvent en chantant pour oublier l'effort.
La lessive n'était pas encore terminée. Il fallait mettre le linge blanc à bouillir dans la lessiveuse. C'était un récipient d'une contenance de quarante litres environ fonctionnant sur le principe d'un percolateur. On déposait dans le fond le savon en poudre que nous appelions la lessive. On ajoutait une poignée de potasse qui adoucissait le linge et l'eau. On déposait alors le centre, sorte de couvercle perforé surmonté d'un tube. Le linge était déposé ensuite morceau par morceau suivant une technique connue de chaque lavandière; pas trop d'air entre les morceaux et pas trop tassés pour qu'au moment où ça bouillira, l'eau qui sera verser au dernier moment, atteindra chaque cm. de tissu.
La lessiveuse était placée dans l'âtre sur un trépied de fer. Sous ce trépied, on alimentait un feu de fougères au début, pour hâter l'ébullition, du menu bois et des morceaux plus gros afin de maintenir l'effervescence durant une demi-heure. Le feu s'éteignant de lui-même on laissait la lessiveuse se refroidir dans l'âtre jusqu'au lendemain matin.
Maman aidée de tante Anna soulevaient cette lourde charge et la trainait dehors. Là, nous sortions le linge en le tordant le plus possible , puisqu'il faudra encore le redescendre au Steir pour le rinçage.
Ensuite on l'étendra sur la lande pour le séchage. Nous remonterons la colline, légèrement cette fois et reviendrons au bout de quelques heures ramasser notre linge sec, sentant bon le soleil, la fleur de lande et le genêt.
Scavc'h a vo da gaz d'ar ger
La charge sera plus légère à ramener à la maison.