Ma naissance
Ma source
Je coule de source. On ne m'a pas trouvé dans un chou. Je n'ai pas été déposée non plus par un «sauvage» sur le seuil de porte comme les bébés du Québec.
J'ai jailli du sein de la terre! Maman m'a cueillie dans la fontaine du lavoir- feunteun al len- en contre bas du village. C'est ainsi que le veut la tradition à Kerscoulet.
Les nouveaux-nés émergent des sources d'eau qui abondent dans les parages. Ne dit-on pas que l'eau est source de vie! quel beau mythe! venu du fond des temps et transmis oralement depuis la culture celte.
Voilà donc qu'en ce neuf décembre mil neuf cent vingt cinq, la brume qui couvrait le paysage depuis trois jours s'est levée ce matin-là. Jeanne, ma mère -ti chann a Meill- a déjà 2 filles âgées de quatre et trois ans surnommées Rosic et dettic. Aussi espère-t-on un garçon dans la famille.
Jeanne rassemble une brassée de linge sale et s'en va au lavoir. Mouille, frotte, savonne, tord et claque le battoir, à genoux durant des heures. Est-ce pour bientôt Chann? lui demande les commères du lavoir. Jeanne, tout à son affaire, se dépêche car elle vient de sentir les premières douleurs prédisposant à ma naissance. Hissant son panier de linge mouillé sur sa tête, une main sur la hanche , l'autre en l'air sur l'anse du panier, elle grimpe le chemin caillouteux en se dandinant et hahanant jusqu'au village.
Il était temps! En entrant dans la maison, elle perdit ses eaux. Une mare! me dira-t-elle plus tard quand je fus en âge de discuter de ces choses. Cette mare fut ma source, mon chemin de vie!
Éloigne les petites dit Maman à sa soeur Anna. Conduis-les à Mam-goz (grand-mère) du haut du village et trouve quelqu'un pour avertir la commère goz (l'accoucheuse).Ce qui fut fait, l'entraide au village était chose habituelle et coutumière qui allait de soi.
La soeur de grand-père, la tante Jeanne vint assister Maman et l'aider dans ce grand évennement. Puis Maman mis un pied sur une chaise et grimpa dans son lit; celui-ci étant soulevé de terre pour contrer l'humidité car le sol de la chambre est en terre battue. Merveilleuse Mère!
Encouragée par sa tante Jeanne , elle souffre pousse, halète, pousse encore et crie! moi aussi je fais de mon mieux pour émerger au grand jour! Je ne sais quelle fut la part de l'accoucheuse, mais maman et moi nous fîmes bien des efforts. Et me voilà! Enfin sortie de cette fontaine, de cette source de vie! Je suis une fille! encore! et plus tard j'enfanterais à mon tour.
Il était six heures du soir, un mercredi.
Joie! Allégresse! Tendresse!
On me fit une belle toilette. On m'habilla d'une chemise de coton fin garnie de dentelle à l'encolure, on m'emmaillota de langes molletonnés, on m'enfila une brassière tricotée main par maman bien sûre,on me coiffa d'un bonnet de coton blanc, on me banda des pieds aux aisselles comme une momie; cette coutume du bandage disparue vers les années trente cinq.
Le jour suivant la naissance, je fus inscrite sur les régistres de l'état civil à la mairie sous les prénoms de Blandine, Odile, Marie, fille de Henri et Jeanne Meil. C'était la loi de déclarer tout nouveau-né dans les vingt quatre heures de sa naissance, par deux témoins; soit le père et un voisin, ou l'oncle si le père était absent ce qui arrivait souvent dans ce pays de marins. Mon père n'apprendra ma naissance qu'une semaine plus tard, au reçu de la lettre de maman lorsqu'elle fut en état de se lever pour écrire.
Le baptême eu lieu le dimanche suivant. maman étant encore alitée, elle choisit sa tante Jeanne comme porteuse. Honneur qui lui revenait puisqu'elle avait aidé à ma délivrance.
Me voici donc dans les bras de tante jeanne, vedettes du jour l'une et l'autre, enveloppées du châle blanc traditionnel qui servait aux baptêmes dans la famille. Ce châle recouvrait aussi l'épaule de ma porteuse, enveloppant son dos jusqu'à la taille. Tante Jeanne arborait ses plus beaux atours: Sa coiffe blanche en dentelle de valentiennes, le collet blanc appareillé bien empesé, le sorsage noir en soie à plis pincés affinant sa taille tout en remontant son buste, la jupe en taffetas moiré ainsi que le tablier en velours noir brodé en couleurs et perlé; sans oublier sa chaine en argent avec montre qu'elle était la seule à posséder au village.
Ma marraine , Anna Baraou était la cousine de maman. Toute sa vie, elle prit son rôle au sérieux et me choya de son vivant. Mon parrain Yves Meil était le frère de papa.
Deux kilomètres séparaient le village de l'église paroissiale .
« Sous le vent d'hiver, par les durs chemins»! le cortège ainsi formé allait par les rues boueuses du village et de la route du parou de kerscoulet qui n'était alors qu'un chemin vicinal creusé d'ornières . On se chaussait des sabots de bois de tous les jours jusqu'à la route nationale. Là, dans un buisson on cachait les sabots de bois et on enfilait les soques du dimanche. Nul n'aurait osé toucher à ces sabots placés là en attente . Les soques étaient des chaussures à la semelle de bois dont le dessus en cuir noir était ciré et frotté jusqu'à brillance. Ainsi endimanchés l'on pouvait se présenter à l'église.
«Je te baptise Blandine, Odile, Marie, au nom du père, du fils et du Saint-Esprit»dit le prêtre en me versant de l'eau sur le front, la poitrine et les mains. Je me laissais faire en docile nouveau-né. Puis les cloches sonnèrent à toute volée m'a-t-on dit, mon parrain ayant été généreux. La durée de la sonnerie allait avec la grosseur du pourboire.. Ensuite dans le grand porche de l'église parrain et marraine lancèrent à la volée des sous noirs percés ( eur guennec toul) aux enfants rassemblés là pour la circonstance. Ce geste devait m'apporter la richesse. ( je l'attends toujours! quoique de quelle richesse parlait-on?)
Au retour, une table accueillante attendait les invités. Tante Anna aidée d'une voisine avait apprêté la poule au pot avec forces légumes. Seront servis avec cela des pommes de terre en robe des champs, bien salées au gros sel marin et bien assèchées sur le feu en fin de cuisson jusqu'à ce qu'elles rient (se fendent).
Quel délice! Suivra le traditionnel far breton aux pruneaux; Apéritif, vin rouge et blanc, digestif couronneront ce repas en mon honneur.Les baptêmes avaient lieu en ce temps là après la grand-messe du dimanche. Ainsi l'on pouvait honorer le festin de la table une partie de l'après-midi; Après quoi les invités s'en iront avant la noirceur surtout en ce mois de décembre ( miz kerzu) mois si noir.
kenavo ar c'henta tro! Au revoir, à la prochaine!
Quant à moi après avoir têtée goûlument ma mère, je dormirais comme un ange sur ma paillasse de balles d'avoine dans mon berceau en bois de chataignier posé sur deux chaises, près du lit de maman. Quand elle sera rétablie, elle pourra fêter à son tour. Toutes les mères du village viendront prendre le vin chaud servi avec des biscuits secs. Entre femmes seulement. La conversation alors tournera autour des accouchements. On élaborera, on dramatisera, on ironisera. Le plus souvent on racontera des histoires sur les femmes des autres villages. Une telle, pourra avoir douze enfants, elle a ça comme des p'tits chats!, Une autre après son deuxième oblige son mari à coucher dans l'étable! On se fait des peurs, on s'amuse entre mères!
Chacune aura apporté son modeste cadeau selon ses moyens.: un lainage tricoté main, une demi-douzaine de couches ourlées main. Les plus intimes s'offriront pour aller laver les couches au Steir; Offre, que maman acceptera à charge de revanche. Ainsi en allait-il de petits services qu'on se rendaient dans cette communauté, dans ce modeste village du Cap Sizun, aux gens au grand coeur et d'entr-aide.
Ninic ! C'est ainsi qu'on me surnommera.
En 92 , lors d'un retour au pays après vingt ans d'absence, la vieille cousine Yvonne en me voyant s'exclame : Oh! Ninic comment vas-tu? de réentendre ce diminutif m'a replongé dans la douceur de mon berceau celtique; Car ce n'est qu'en cet endroit que nous avions droit à ces surnoms tendres et affectionnants. Tout le monde y passait: Jeanne/Channic- Anna/ Naïc - Pierre/perric - Yvonne/ Vonnic. Goscinny n'a rien inventé avec ses astérix et ses idéfix , il s'est simplement inspiré de la tradition orale de ce vieux pays d'Armorique ...