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Pour que l'histoire vive
3 mai 2013

Ma naissance

Ma source

 

Je coule de source. On ne m'a pas trouvé dans un chou. Je n'ai pas été déposée non plus par un «sauvage» sur le seuil de porte comme les bébés du Québec.

J'ai jailli du sein de la terre! Maman m'a cueillie dans la fontaine du lavoir- feunteun al len- en contre bas du village. C'est ainsi que le veut la tradition à Kerscoulet.

Les nouveaux-nés émergent des sources d'eau qui abondent dans les parages. Ne dit-on pas que l'eau est source de vie! quel beau mythe! venu du fond des temps et transmis oralement depuis la culture celte.

Voilà donc qu'en ce neuf décembre mil neuf cent vingt cinq,  la brume  qui couvrait le paysage depuis trois jours s'est levée ce matin-là. Jeanne, ma mère -ti chann a Meill- a déjà 2 filles âgées  de quatre et trois ans  surnommées Rosic et dettic. Aussi espère-t-on un garçon dans la famille.

Jeanne rassemble une brassée de linge sale  et s'en va au lavoir. Mouille, frotte, savonne, tord et claque le battoir, à genoux durant des heures. Est-ce pour bientôt  Chann? lui demande les commères du lavoir. Jeanne, tout à son affaire, se dépêche car elle vient de sentir les premières douleurs prédisposant à ma naissance. Hissant son panier de linge mouillé sur sa tête, une main sur la hanche , l'autre en l'air sur l'anse du panier, elle grimpe le chemin caillouteux en se dandinant et hahanant jusqu'au village.

Il était temps! En entrant dans la maison, elle perdit ses eaux. Une mare! me dira-t-elle plus tard quand  je fus en âge de discuter de ces choses. Cette mare fut ma source, mon chemin de vie!

Éloigne les petites dit Maman à sa soeur Anna. Conduis-les à Mam-goz (grand-mère) du haut du village et trouve quelqu'un pour avertir la commère goz  (l'accoucheuse).Ce qui fut fait, l'entraide au village était chose habituelle et coutumière qui allait de soi.

La soeur de grand-père, la  tante Jeanne  vint assister Maman et l'aider dans ce grand évennement. Puis Maman mis un pied sur une chaise et grimpa dans son lit; celui-ci étant soulevé de terre pour contrer l'humidité car le sol de la chambre est en terre battue. Merveilleuse Mère!

Encouragée par sa tante Jeanne , elle souffre pousse, halète, pousse encore et crie! moi aussi je fais de mon mieux  pour émerger au grand jour! Je ne sais quelle fut la part de l'accoucheuse, mais maman et moi nous fîmes bien des efforts.  Et me voilà!  Enfin sortie de cette fontaine, de cette source de vie! Je  suis une fille! encore! et plus tard j'enfanterais à mon tour.

Il était six heures du soir, un mercredi.

Joie! Allégresse! Tendresse!

On me fit une belle toilette. On m'habilla d'une chemise de coton fin garnie de dentelle à l'encolure, on m'emmaillota de langes molletonnés, on m'enfila une brassière tricotée main par maman bien sûre,on me coiffa d'un bonnet de coton blanc, on me banda des pieds aux aisselles comme une momie; cette coutume  du bandage disparue vers les années trente cinq.

Le jour suivant la naissance, je fus inscrite sur les régistres de l'état civil à la mairie sous les prénoms de Blandine, Odile, Marie, fille de Henri et Jeanne Meil. C'était la loi de déclarer tout nouveau-né dans les vingt quatre heures de sa naissance, par deux témoins; soit le père et un voisin, ou l'oncle si le père était absent ce qui arrivait souvent dans ce pays de marins. Mon père n'apprendra ma naissance  qu'une semaine plus tard, au reçu de la lettre de maman lorsqu'elle fut en état de se lever pour écrire.

Le baptême eu lieu le dimanche suivant. maman étant encore alitée, elle choisit sa tante Jeanne comme porteuse. Honneur qui lui revenait puisqu'elle avait aidé à ma délivrance.

Me voici donc dans les bras  de tante jeanne, vedettes du jour l'une et l'autre, enveloppées du châle blanc traditionnel qui servait aux baptêmes dans la famille. Ce châle recouvrait aussi l'épaule de ma porteuse, enveloppant  son dos jusqu'à la taille. Tante Jeanne arborait ses plus beaux atours: Sa coiffe blanche en dentelle de valentiennes, le collet blanc appareillé bien empesé, le sorsage noir en soie à plis pincés affinant sa taille tout en remontant son buste, la jupe en taffetas moiré ainsi que le tablier en velours noir brodé en couleurs et perlé; sans oublier sa chaine en  argent avec montre qu'elle était la seule à posséder au village.

Ma marraine , Anna Baraou était la cousine de maman. Toute sa vie, elle prit son rôle au sérieux et me choya de son vivant. Mon parrain Yves Meil  était le frère de papa.

Deux kilomètres  séparaient le village de l'église paroissiale .

« Sous le vent d'hiver, par les durs chemins»! le cortège ainsi formé allait par les rues boueuses du village et de la route du parou de kerscoulet  qui n'était alors qu'un chemin vicinal creusé d'ornières .  On se chaussait des sabots de bois de tous les jours jusqu'à la route nationale. Là, dans un buisson on cachait les sabots de bois et on enfilait les soques du dimanche. Nul n'aurait osé toucher à ces  sabots placés là en attente  . Les soques étaient des chaussures à la semelle de bois dont le dessus  en cuir noir était  ciré et frotté jusqu'à brillance. Ainsi endimanchés l'on pouvait se présenter à l'église.

«Je te baptise Blandine, Odile, Marie, au nom du père, du fils et du Saint-Esprit»dit le prêtre en me versant de l'eau sur le front, la poitrine et les mains. Je me laissais faire en docile nouveau-né. Puis les cloches sonnèrent à toute volée m'a-t-on dit, mon parrain ayant été généreux. La durée de la sonnerie allait avec la grosseur du pourboire.. Ensuite dans le grand porche  de l'église parrain et marraine lancèrent  à la volée des sous noirs percés ( eur guennec toul) aux enfants rassemblés là pour la circonstance. Ce geste devait m'apporter la richesse. ( je l'attends toujours! quoique de quelle richesse parlait-on?)

Au retour, une table accueillante attendait les invités. Tante Anna aidée d'une voisine avait apprêté la poule au pot avec forces légumes. Seront servis avec cela des pommes de terre en robe des champs, bien salées au gros sel marin et bien assèchées sur le feu en fin de cuisson jusqu'à ce qu'elles rient (se fendent).

Quel délice! Suivra le traditionnel far breton aux pruneaux;  Apéritif, vin rouge et blanc, digestif couronneront ce repas en mon honneur.Les baptêmes avaient lieu en ce temps là après la grand-messe du dimanche. Ainsi l'on pouvait honorer le festin de la table une partie de l'après-midi; Après quoi les invités s'en iront avant la noirceur surtout en ce mois de décembre ( miz kerzu) mois si noir.

kenavo ar c'henta tro! Au revoir, à la prochaine!

Quant à moi après avoir têtée goûlument  ma mère, je dormirais comme un ange sur ma paillasse de balles d'avoine dans mon berceau  en bois de chataignier posé sur deux chaises, près du lit de maman. Quand elle sera rétablie, elle pourra fêter à  son tour. Toutes les mères du village viendront prendre le vin chaud servi avec des biscuits secs. Entre femmes seulement. La conversation  alors tournera  autour des accouchements. On élaborera, on dramatisera, on ironisera. Le plus souvent  on racontera des histoires sur les femmes des autres villages. Une telle, pourra avoir douze enfants, elle a ça comme des p'tits chats!, Une autre après son deuxième  oblige son mari à coucher dans l'étable! On se fait des peurs, on s'amuse entre mères!

Chacune aura apporté son modeste cadeau selon ses moyens.: un lainage tricoté main, une demi-douzaine de couches ourlées main. Les plus intimes s'offriront  pour aller laver les couches au Steir; Offre, que maman acceptera  à charge de revanche. Ainsi en allait-il de petits services qu'on se rendaient dans cette communauté, dans ce modeste village du Cap Sizun, aux gens au grand coeur et d'entr-aide.

Ninic ! C'est ainsi qu'on me surnommera.

En 92 , lors d'un retour au pays après vingt ans d'absence, la vieille cousine Yvonne en me voyant s'exclame : Oh! Ninic  comment vas-tu? de réentendre ce diminutif m'a replongé dans la douceur de mon berceau celtique; Car ce n'est qu'en cet endroit  que nous avions droit à ces surnoms tendres et affectionnants. Tout le monde y passait: Jeanne/Channic-  Anna/ Naïc -  Pierre/perric - Yvonne/ Vonnic. Goscinny n'a rien inventé avec ses astérix  et ses idéfix , il s'est simplement inspiré de la tradition orale de ce vieux pays d'Armorique ...

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
B
Merci Golina . je ne peux écrire sur mon blog.Mon mot de passe s'est perdu. J'ai beau m'essayer de contacter canalblog...pas faile . ils me disent de voir les commentaires ,pour trouver la solution a mon probleme . Quand je vois milles commentaires pour le meme sujet je me décourage . Enfin faut que je m'arme de patience et que je m'y attelle encore . Bonne journée Golina bises xxx
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G
Bonjour Blandine...Quel plaisir de relire ce récit de ta naissance :en ce neuf décembre ... tu nous offres là le tableau d'un monde disparu mais riche d'enseignement..Ton récit m'enchante ...Bon anniversaire <br /> <br /> je t'embrasse
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A
Merci Blandine le plaisir de relire ces histoires vraies que vous raconté si bien je vous embrasse
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J
Courir dans les champs,<br /> <br /> sentir le vent,<br /> <br /> ce n'était pas assez.<br /> <br /> Comme tous ceux qui n'ont rien dans la tête, <br /> <br /> moi aussi j'ai cru qu'il fallait faire des choses.<br /> <br /> Poème d'Alexandre ROMANES<br /> <br /> (comme j'aime ce poème chère Blandine, bonne soirée ma douce)<br /> <br /> Janou
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J
Ben ça alors, le 15 décembre 2014, je suis passée chez toi, j'ai la mémoire courte!!!<br /> <br /> Je vais continuer à te lire, me délecter de tes mots et de ta plume alerte!<br /> <br /> Bonne journée, kenavo ar c'henta tro ma Ninic.<br /> <br /> Janine
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Pour que l'histoire vive
  • Au fil de ma vie j'ai accumulé des feuilles volantes de mon histoire, de mon parcours. Il s'en trouve dans des cahiers, et depuis quelques années dans les fichiers de mon ordi. je veux les partager et ainsi faire revivre l'histoire!
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