Kerscoulet,
Kerscoulet, humble hameau.
Dans la presqu'île du Cap Sizun, entre le sentier des douaniers et la voie romaine, il est un village au bout d'une plaine, invisible de la route nationale, douillètement blotti sous les grands arbres, surplombant une vallée, la vallée du Steir.
Quelques toîts d'ardoises moussues où le bleu et le jaune invitent l'oeil à la découverte.
Kerscoulet, riche hameau, où les gens vivants sous ses toîts ont toujours formés une petite société à l'image de la grande.
Des aînés réunis des après-midi entiers assis sur un effleurement rocheux en arrière du village dans cet endroit nommé« Penn ar roz», discutant de la météo, des semailles, refaisant le monde, les yeux fixés sur l'horizon ou suivant le vol d'un milan dans la vallée.
Le «milan» est cet oiseau de proie, autrefois prolifique dans la région et d'ou le village tire son nom.
Ker=village, scoulet ou scouled= milan.
Des enfants tenant leur vache au bout d'une longe: fillettes aux tresses longues et sarraus en coton de vichy à carreaux bleu et blanc contrastant avec le vert de la lande et de l'ajonc, le sac d'école supendu au bras, le livre de géographie à la main, revisant et annonant leurs leçons: La Pointe du raz est à l'ouest, le clocher de Goulien au nord, celui de Pont-Croix à l'est et celui de Primelin au sud. Ainsi apprenions nous nos points cardinaux. Notre ruisseau: «Le Steir», acquérait de l'importance à nos yeux du moment qu'il était nommé dans notre livre de géographie du finistère.
Les petits garçons couraient derrière les charettes espérant que le fermier daigne les faire monter et leur confier les rênes du cheval. Quelle fierté dans leurs regards alors! Ils se croyaient déjà les maîtres du monde et passaient devant les filles, la tête haute en sifflant un air connu. Un autre de leurs jeux consistait à courir derrière une roue de bicyclette qu'il téléguidait pourrait-on dire en la poussant avec un vieux manche à balai muni à son bout d'une longue pointe. C'était à qui mènerait sa roue le plus loin sans la renverser.
La vie tournait autour des métiers de la terre. Sur les dix sept maisons du village dans les années trente on pouvait compter quatre grandes fermes avec vaches et chevaux. D'autres foyers comme le nôtre possédaient aussi leur vache, que chacun menait paître tout le long des chemins creux où poussaient une herbe abondante. Propriétaires de quelques parcelles de terrain, parents et enfants travaillaient durs pour les labourer.
Maman s'occupait seule du travail de notre fermette puisque Papa travaillait au loin. Seule elle bêchait nos parcelles de terrain. Bêcher, biner, sarcler, traîner le fumier de la vache dans les champs pour les fertiliser. Ramener des faix de choux, de luzerne ou de trêfle sur son dos à la maison. Une ou deux fois par année, elle empruntait le cheval et la charrette d'un gros fermier pour le transport du foin ou des pommes de terre. Mais que d'heures n'a-t-elle pas donné en retour pour payer cet emprunt? Les gros fermiers profitaient ainsi de main d'oeuvre bon marché pour leurs grosses corvées: Le battage du blé, le ramassage du foin, la récolte des pommes de terre, la sortie du fumier des grandes étables etc. Mes soeurs et moi nous avons participé à ces travaux à partir de nos quatorze ans. Nous avions nos préférences pour tel ou tel fermier. J'aimais accompagner Maman à la ferme de Trovréac'h de l'autre côté du Steir, donc sur la commune de Goulien. De cette ferme, plus que le travail lui-même très ardu, il m'est resté le souvenir des repas et surtout des crêpes! Dorées, jaunes, croustillantes sur les bords, ayant été lèchées par la flamme du feu de fougère ou d'ajonc; odorantes et dégoulinant du beurre frais du jour ! quel régal! quelles ventrées !
Jamais nous ne revenions de là les mains vides. Il y avait toujours soit des oeufs, soit du beurre ou des légumes de saison tels des haricots verts ou des poireaux que la fermière nous tendait au départ discrètement en disant: Nous en avons trop, emportez ça, sinon ça va se perdre! C'était la façon de nous dédommager de la sueur de la journée.
Très tôt nous avons été initiées aux durs travaux de la terre. Maman nous transmettait son savoir, son amour de la nature.
Le respect et la protection de la nature, pour nous enfants de la campagne, cela allait de soi avec notre éducation.
Savoir différencier les bonnes plantes des mauvaises herbes, les identifier et prendre garde à ce que la vache ne mange pas de cigüe par exemple, cette belle ombellifère qui pouvait la faire enfler et crever. Il y avait les baies vertes du sureau à éviter mais qui, une fois mûres faisaient une exellente gelée soulageant les maux de gorge l'hiver. Tante Anna était la spécialiste des confitures de baies sauvages que nous allions cueillir dans les buissons autour de kerscoulet, petits pots à la main , sabots de bois aux pieds et chansons aux lèvres.
Pour oublier notre fatigue, maman nous faisait chanter. Ô combien de ses chansons me reviennent encore en mémoire? Telle fleur , telle plante était sujet à chanson. Et des fleurs et des plantes nous savions en nommer, autant que de pays ou de villes étudier dans nos livres d'école. Nous avions nos cousins, nos oncles , marins d'État ou de commerce. Des cartes postales nous en recevions venant de Singapour, Brest, Toulon, ou Amsterdam. Que de voyages en rêve avons nous fait alors!
Temps de l'enfance! Temps d'espérance !
Printemps fleuris, automnes brumeux, hivers venteux, combien de rires d'enfants avez-vous entendu dans les rues de kerscoulet?
Je récolte aujourd'hui cette riche moisson de valeurs que mes parents ont su m'inculquer, fussent-elles enjolivées ou réelles. A petites semences, grosses récolltes!